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Rafle du 14 décembre 1943 à Nantua

Pour plus d’informations….

chanal Jean

Alors que le 11 novembre 1943 les maquisards de Romans Petit défilent à Oyonnax, 150 Nantuatiens emmenés par le sénateur Eugène Chanal se rendent au Monument aux Morts de Nantua rendre hommage aux vainqueurs de 14-18, puis devant le piédestal d’Alphonse Baudin, dont la statue a été enlevée. Défiler à visage découvert comporte des risques, quelques soutiens de Vichy s’en souviendront…… Eugène Chanal inquiété, lors de l’Opération Caporale ”Korporal” en février est arrêté, puis mis en résidence surveillée en gare de Macon.

Le maquis, défila à Oyonnax…. (extrait de la plaquette ”De la défaite….à la Victoire au pays d’Alhonse Baudin” de Paulette Mercier)
“A partir de ce moment nous vécûmes avec la pensée constante de soutenir notre Maquis chaque jour plus fort, chaque jour mieux organisé, mieux armé.

Le Poste de Commandement (P.C.) était à ce moment prés de chez nous à Brénod, puis à Intriat où était caché un mitrailleur de la R.A.F. chez un paisible ménage de retraités.

Le Docteur Mercier avait reçu du Capitaine l’ordre d’organiser le Service de Santé pour l’ensemble des camps. Il se rendait chaque soir au P.C. et revenait grisé par l’atmosphère d’enthousiasme qui régnait autour de Capitaine…..

Le 6 décembre, un petit groupe de maquisards promenait dans les rues de la ville un singulier cortège : un couple de collaborateurs, tenanciers d’un café de la ville, en très légère tenue, arborant la croix gammée sur leur dos. La femme avait été préalablement tondue par les petits gars indignés de sa complaisance pour les soldats allemands….

Les passants ne réagirent pas et le cortège passa pratiquement inaperçu de la majeure partie de la population. Cette promenade est un souvenir douloureux pour les Nantuatiens.

Au lendemain des terribles opérations du 14 décembre, une affiche fut placardée sur les murs de la ville….

C’est un fallacieux prétexte et la réalité était toute autre : nous avions un Sous-Préfet (Mr Demay ndlr), décoré de la Francisque, admirateur passionné du Maréchal et de sa politique…..Il était très orgueilleux, très imbu de lui-même ; de plus il haïssait le Résistance. Il se raidit dans son attitude et se montra un ennemi implacable. Il dramatisa tous les coups de main du Maquis et décrivit Nantua, comme un dangereux repère de terroristes. A plusieurs reprises au cours de l’été il avait demandé l’envoi de forces de maintien de l’ordre dans la région. Il perdit tout contrôle de lui-même lorsque le 13 décembre le Maquis enleva sa voiture (elle sera utilisée lors du sabotage des usines Schneider au Creusot quelques jours plus tard, ndlr). Aveuglé de fureur, il passa son après-midi au téléphone, et le soir du 13 décembre, le Docteur Mercier déclarait à ses amis : « je viens du P.C., je leur ai demandé de déménager cette nuit ; il y aura certainement une attaque demain, le Sous-Préfet est devenu fou ! “

“Une attaque contre le Maquis était prévue, ce fut une rafle qui eut lieu.

Le 14 décembre 1943, dans l’aube glauque d’un jour d’hiver, un train entre en gare, il en débarque une nuée de S.S., ils cernent la ville de toute part, occupent la poste. (L’opération est menée par le Lieutenant SS Moritz du Sipo-Sd de Lyon, qui avait connu Demay à Paris ndlr – Fond F. Davenas).

Par groupe de deux ils pénètrent dans les maisons endormies : pêle-mêle, sans distinction d’aucune sorte, ils arrêtent tous les hommes valides. Brutalement, à peine vêtus, à coups de crosse, ils sont conduits à la gare, parqués dans des wagons à bestiaux.

La stupeur et l’épouvante figent tous les visages.

Le Docteur Mercier n’est pas arrêté, car la rafle épargne le corps médical. Mais il est incapable de rester chez lui alors que la terreur règne partout. Il est terriblement inquiet, au sujet de l’hôpital qui déjà abrite des maquisards blessés (dont Georges Béna, dit Michel, chef du camp de Granges. ndlr). Il sort donc pour se rendre à l’hôpital. Il est arrêté en route et conduit à la gare comme les autres. Comme les autres…jusqu’au moment où une dénonciation infâme parvint au chef S.S., qui dirigeait l’opération.

Celui-ci vint alors le chercher, et le séparant de ses compagnons, le conduisit dans le bureau du chef de gare où nous (Paulette Mercier ndlr) avons pu le voir en fin de matinée. Il souriait encore, mais son visage était fort pâle :

J’ai été dénoncé nous dit-il ; l’allemand en m’entraînant ici m’a dit ” je ne vous interroge pas, je sais que vous êtes le chef du Gaullisme. “

Au milieu de la matinée, un groupe de nouveaux prisonniers arrivent à la gare, plus attendrissants encore que les autres : ce sont les élèves du collège.

Les allemands ont fait irruption dans leurs classes, ils les ont fait aligner dans la cour au milieu de laquelle, ils avaient installé une mitrailleuse. Les mains levés, ils ont été fouillés, les allemands n’ont pas remarqué le minuscule drapeau anglais que beaucoup d’entre eux portaient à la boutonnière de leur blouse grise. Ceux qui ont dix huit ans, ou accusent cet âge par la taille, ont été arrêtés.

Ce sont eux qui arrivent maintenant. Ils marchent au pas, dressent fièrement la tête et toisent les allemands. Ils entrent dans la gare et partagent bravement le sort de leurs ainés…….

Les allemands laissent pénétrer par petits groupes les femmes qui se dirigent vers les wagons, portant des lainages, quelque nourriture, un peu d’argent…..Le train s’est ébranlé vers midi, emmenant 130 hommes et leurs bourreaux. Il a quitté Nantua lentement comme un convoi funèbre, et c’est ce qu’il était en réalité.

Au lycée (ndlr):

Voir aussi le témoignage écrit de l’élève Beretta:

Monsieur Merle, le Thyss, concierge du collège passe de classes en classes donnant l’ordre à chacun de se regrouper dans la cour. La cloche sonne la récréation de 10 heures. De là, on peut voir à hauteur des dernières maisons sur la route d’Apremont des soldats établir un barrage. Deux escouades d’individus à l’uniforme verdâtre passent sous le porche entre les deux cours. Ils font aligner les élèves les bras levés, contre les classes d’anglais, d’allemand et de physique, alors que trois autres mettent en batterie face à eux, une mitrailleuse sur son trépied. Le principal, Monsieur Boivin traverse le porche escorté de deux officiers SS, de deux hommes en civile, et du professeur d’allemand ; ce dernier fait office d’interprète. Ils montent visiter les dortoirs accompagnés de soldats.

Ordre est donné de fouiller salles d’étude et dortoirs.
“Des munitions au dortoir” par Michel Fournier
“On l’a échappé belle” par Marc Beretta

Après un conciliabule, ce groupe passe les élèves en « revue » et certains doivent sortir du rang, ceux de plus de 18 ans. Tenus à part, comptés et recomptés des soldats les emmènent au dortoir pour prendre leur manteau et gros souliers.

Ils sont emmenés dans la cour des grands en passant sous le porche, où ils sont alignés contre la façade de la Chapelle.
En colonnes par trois, bien encadrés, élèves et membres de du personnel se dirigent  vers la gare en passant devant la sous-préfecture.”

Le train (ndlr):
Le train s’ébranle, les raflés occupent des wagons à bestiaux, 25 dans chacun, il arrive à Bourg alors qu’il fait encore jour. Les portes des wagons coulissent, les « voyageurs » sont invités à descendre et encadrés par une double haie de soldats en armes, ils sont conduits à l’Hôtel du Commerce, faisant office de Feldgendarmerie, juste en face de la gare.

Là, il est procédé à un contrôle d’identité, de la saisie des papiers. Une petite collation leur est attribuée.

Avant minuit pout les uns, après pour d’autres, les Raflés sont ramenés à la gare toujours encadrés par un déploiement de force « extraordinaire ». Ils grimpent dans les wagons à bestiaux, toujours à 25 (funf und zwanzig !) par wagons, se faufilant pour certains afin de se regrouper par affinité ; collégiens et professeurs sont ensembles.

Le train se dirige vers le Nord, et très vite des idées d’évasion germent dans les esprits, les discussions vont bon train, des argumentations s’affrontent entre ceux qui veulent tenter « la belle » et ceux qui craignent de futurs représailles.

Un jeune dentiste de Nantua ( M. Gotthelf israélite travaille illégalement chez un collègue à Oyonnax, Léon Barriol qui est aussi chef du S.O.L.!) sort un couteau glissé dans une de ses chaussettes et casse la lame entre deux lattes de bois. Ce tournevis improvisé permet de démonter les cornières qui fixent une des 4 lucarnes, ouvrant ainsi une voie ! Le passage est de 80 cm de large sur 30 de hauteur.

Des élèves et des membres de l’encadrement sautent ainsi d’un wagon, d’autres s’échappent aussi d’autres wagons et s’éparpillent dans la nature, en pleins nuit entre Moulins des Ponts et Louhans.

Le train s’arrête à Auxonne, où l’évasion est démasquée, trahie par des lucarnes ouvertes. Les prisonniers sont comptés et des coups de crosse distribués.

Le train redémarre et stoppe à nouveau à la gare de Dijon à Pressy-sous-Thyl. Il est 7 heures du matin, il reste à quai toute la journée, d’où il repart  le soir pour Compiègne atteint le lendemain 17 décembre à 7 heures.

La plupart des nantuatiens partiront de Compiègne le 24 janvier 1944 dans le convoi 1.172.

Toujours par un imposte 4 raflés à Nantua, Pélisson de Lantenay, Alexandre Caldognéto , Félix Bride et Raymond Piquet de Nantua, sautent du train à hauteur de Trogny-aux-Bœufs (entre Chalons sur Marne et Vitry-le-François). D’après les témoignages de Marc Berretta, Jean Rogier, Marcel Sauret, Simon Pernod et Raymond Piquet.

Plaquette “Alphonse Baudin suite: “Quelques minutes après le départ du train, deux voitures quittaient la gare : dans la première se trouvaient le capitaine de gendarmerie (Vercher ndlr) et Antonin Allante, premier adjoint au Maire (vice-président de la Délégation spéciale, nommée par Vichy ndlr) . Ils furent emmenés à Montluc, un mois plus tard à Buchenwald où devait mourir Antonin Allante. (Vercher et Allente sont libérés, trop tard pour A. Allente)

“Le Docteur Mercier monte dans la seconde. Il quitte Nantua à son tour, sourit encore à travers la glace à ses amis qui se trouvent là. (Dans cette même “Traction” avait pris place Mme Payan, celle-là même qui avait été exhibée avec son mari dans les rues de Nantua et d’Oyonnax le 6 décembre): témoignage oral de Georges Beretta

Quelques heures plus tard, un passant découvrit son cadavre criblé de cinq balles de mitraillettes, sur le bord de la route, à Maillat, à sept kilomètre de Nantua.”
L’autopsie réalisée par le Dr Touillon révéla  que les balles traversèrent sa main droite posée sur son cœur, comme un ultime témoignage d’amour …… (ndlr)

“La lutte était finie pour lui….chacun rentra chez lui, emportant sa peine, comme un animal blessé rentre dans son terrier, et la nuit tomba sur une ville morte.

Le chef de la famille ou un enfant chéri, manquait dans de nombreux foyers, mais chacun mit ce soir là son chagrin personnel au second plan, et la ville entière pleura le Docteur fusillé.

Il avait donné sa vie, mais ses compatriotes ne lui marchandèrent pas les marques d’affection, et pendant les deux jours où son corps reposa dans le cabinet de consultation, où nous l’avions vu si souvent, la population de la ville et du canton entier défila et versa des larmes sincères sous le regard figé des « observateurs » de la Gestapo “.

Liste des Déportés le 14-12-1943

Liste des évadés

Le surlendemain, une affiche présentait, sur les murs de Nantua, la raison ( !?)  de cette rafle. Elle fut rédigée en sous préfecture sur un thème fourni par le sous lieutenant SS Moritz, et imprimée par l’entreprise Reine d’Oyonnax. (ndlr)

La question des causes de cette rafle reste posée. Il était impossible à la Libération de ternir l’image de la Résistance en pesant son action et les représailles qu’elle entraîna. Vous imaginez bien que notre volonté n’est pas de flétrir la Résistance. A travers le monde, les résistances s’accompagnent de répressions, avec hélas ses victimes collatérales.

Le défilé de troupes en armes à Oyonnax, un mois plus tôt était intolérable aux yeux des Allemands.

Pour nous, accepter que la cause de cette rafle fut le fait de tatouages à la peinture de croix gammées sur les corps partiellement dénudés d’un couple de cafetiers (deux notabilités en rapport avec les Allemands, comme le précise une note allemande !!) promenés dans la rue à Nantua et plus longuement à Oyonnax, c’est donner du crédit à cette justification donnée par les Allemands, telle qu’elle fut placardée sur les murs de Nantua.

Que peut peser la « profanation »  de l’emblème nazie face à un défilé en armes de 130 Maquisards le 11 novembre, à la barbe de l’occupant, et applaudi par une foule ?

Que valent les déclarations du Sous-préfet Demay rapportant les mots de l’officier allemand responsable de l’opération ? Il avait connu le Lieutenant Moritz à Paris; Demay ce fonctionnaire zélé, responsable des attaques de camps de réfractaires par les G.M.R . Le 13 décembre 1943, rapportait le Dr Mercier,  il était rendu  « fou furieux » par le vol de sa belle traction-avant une semaine plus tôt, qui devait l’emmener en voyage de noce; elle sera utilisée le 18 décembre, lors du sabotage des usines Schneider au Creusot.

Cette thèse de « l’offense faite au Reich » a permis aux Allemands et à Vichy, d’occulter la présence et l’activité de la Résistance et de masquer leur impuissance à la maîtriser. Ne reprenons pas encore des dizaines d’années après cette thèse allemande de la promenade des époux Payan dans la ville.

Cette rafle apporta des bras vigoureux (de 18 à 40 ans) aux Kommandos des camps en Allemagne; son but fut d’effrayer la population civile et de la dissuader de soutenir les « terroristes ». Demay fut très vite remplacé par le sous-préfet Dupoizat qui, discrètement se mit à la disposition du capitaine Romans.

Paulette Mercier soutenait que si une médaille devait être frappée au souvenir de  la Résistance dans l’Ain, une face serait gravée évoquant le Défilé du Maquis à Oyonnax le 11-11-43, l’envers présenterait l’effigie du Docteur Émile Mercier. Ce ne serait pas une volonté de glorifier, mais de maintenir le souvenir d’une volonté de lutte armée d’un coté, et de l’autre le symbole des victimes collatérales inévitables.

“Et l’année s’acheva dans le plus sombre désespoir….Chacun agissait mécaniquement, vivait par vitesse acquise. Nous ne réalisions ni le danger, ni la douleur : tel ce patriote (Mr Ravier ndlr) qui pendant les jours qui suivirent l’exécution du Docteur Mercier, effectua les liaisons nécessaires avec le Maquis malgré la surveillance étroite de la Gestapo, avec, dans son portefeuille, l’avis de décès de son fils René”.

Le seul crédit que l’on pourrait porter au comportement du sous préfet Demay est que sa conduite a peut être été guidée par un espoir de sauver quelques édiles.