“Ce matin de mars 1943, la vie coulait monotone et feutrée au sein du moulin familial ; moulin de guerre : angoissant, les troupes de l’axe toujours puissante sur tous les fronts. Je rentrais des chantiers de jeunesse et l’avenir pour tous les garçons de mon âge n’était que doute et désillusions et tout à coup la fameuse convocation pour le STO.
Je suis désigné pour occuper un emploi à ce titre et invité à me présenter au bureau de placement allemand, à la mairie d’Ambérieu, le 18 mars 43 à 9 heures du matin, pour la signature du contrat et recevoir toutes les directives en ce qui concerne les modalités de ce départ. Je regardais mon père et dans son regard je compris que nous étions d’accord : je ne partirais pas. Le moment était venu, mais où aller, le régime de Vichy nous rayait du monde.
Réfractaire, plus de domicile, plus d’état civil, plus de carton d’alimentation, plus rien. Après de longues recherches mon père trouva enfin un point de chute.
C’est ainsi qu’avec trois camarades qui partageaient mes résolutions, Jean Deloisy, René Veinière et Marcel Grummault (il devait trouver la mort aux Neyrolles le 31 décembre 1943, tué par les GMR), nous partions dans la nuit du 17 au 18 mars en direction de Montgriffon.
Nous atteignons Nivollet au lever du jour et passons cette journée dans la montagne surplombant ce pays et, la nuit suivante nous arrivons au-dessus de Montgriffon, petit village montagnard.
Je garderai toujours dans ma mémoire le souvenir de la rencontre que je fis ce matin du 19 mars avec Marius Chavent, maire (adj. ndlr) de Montgriffon (car ce point de chute était dans cette famille).
C’est avec des hommes comme lui que nous avons pu survivre. Il paya de sa vie l’aide qu’il prodigua à toute cette jeunesse errante et famélique avant que ne s’organise ce qui serait plus tard le maquis.
Sa fille Dédée, son fils Jean, eux aussi acquis à sa cause, multipliaient les efforts. Nous étions quatre et il nous fallait un abri ; nous passions la journée dans cette famille et c’est alors qu’arrive un dénommé Victor Liméré, la propriétaire de la ferme des Gorges. Jean Chavent lui demande aussitôt s’il peut nous loger dans cette ferme qui correspond bien à notre situation. Elle est isolée au fond d’une vallée, au milieu des bois ; il accepte aussitôt : la clandestinité commençait.
Quelques nuits plus tard, nous faisons la connaissance, dans une grange au-dessus de Saint Rambert, du capitaine Romans qui allait devenir notre patron”.