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Cuisiat

cuisiat 2

18 Juillet 1944… CE JOUR LA, LES ALLEMANDS BRÛLAIENT CUISIAT

Témoignages recueillis par Jean Pierre Cotton

Questions:
Comment avez-vous vécu l’arrivée des Allemands ?
Fut-ce la surprise totale ?
Les habitants s’attendaient-ils à une invasion?

 Mme Lucie Perdrix :

«On s’y attendait. Quand ils sont arrivés, les hommes sont partis. Je ne les ai pas vu arriver directement. Sandrine Gaillard est passée vers 2 heures en me disant: «Sors tesbêtes, ils mettent le feu. Chez moi, la maison est déjà toute brûlée!». J’ai sorti les bêtes et les enfants. Le dernier avait 18 mois. Après on est montés derrière Pallanche. On est redescendus, c’était presque nuit. En fait, je les ai juste vus quand je montais les bêtes. Il y en avait deux derrière nous. Je n’ai pas regardé qui c’était.»

M.Sabin Perdrix
– “J’étais en train de piocher ma vigne. Un maquisard est passé et m’a dit «Faut te dépêcher à partir!» J’ai pris un bout de pain et ma jument que j’ai monté derrière Le Peloux. Puis je suis monté au dessus de la montagne avec Marcel Blaffard. Il y avait M. Juillard, Marcel et Noël Mégard. M. Juillard avait son fusil. Les Allemands les ont astiqués! Les balles leur claquaient aux talons de sorte qu’ils ont juste eu le temps de passer la côte.”.

Mme Lucie Berthet
– “J’allais faire les liens pour lier le blé. Les Allemands m’ont canardée car je courrais. Mon mari et moi nous sommes cachés dans un jardin, sous des rames de haricots. Mon mari est parti à la montagne et moi au village. J’ai vu de la fumée à trois endroits. J’ai passé en Buyaz, jusqu’à la maison de M. Mazuir. J’ai trouvé son papa qui voulait descendre sa femme impotente parce que la maison commençait à flamber. On l’a descendue dans le bâtiment du four. Chez nous, j’ai détaché les bêtes et les porcs; j’avais fait du pain le matin que j’avais porté dans un pré derrière la maison car on pensait tous les jours qu’ils allaient arriver. J’ai pris mon pain, un petit peu de lait, des œufs et je suis montée à la montagne. .”.

M. Marcel Grozel
– «On ne les a pas vus arriver. Ils ont mis le feu tout de suite. C’est là qu’on a vu qu’ils étaient là! On a déménagé les bêtes, la jument. Avec d’autres, on a rejoint les gosses au bief du Croix, dans un fossé, au cas où ça mitraillerait. Quand on est revenus, cela flambait partout.»

M.Paul Joly
– «J’avais neuf ans. A midi, mon père et mon beau frère, qui mangeaient, disaient : «Il faudrait partir, ils vont venir!». ils ont déchargé du foin dans une cour à l’arrière et moi je suis allé jouer chez les Balderer au moulin. Vers 3 heures, ne voyant rien arriver, des hommes sont redescendus. J’étais à peine rentré chez moi que les Allemands arrivaient de tous les côtés en cassant les palissades. Tout de suite, ils nous ont fait aligner dans la rue. J’avais une sœur qui travaillait au café à Bourg. C’était son jour de repos. Elle a parlementé avec les Allemands. Elle était moins impressionnée que nous. C’était son jour de repos. Elle a fait comprendre qu’on avait des bêtes à détacher. Ils nous ont autorisés à le faire. Il y en a eu quand même deux de brûlées.
Mon père était caché sur des poutres. Le feu était dans les choux d’huile. Il a fallu qu’il saute dans le feu. Il a été mis en joue. Dans les Allemands certains semblaient très contrariés de ce qu’ils faisaient. D’autres avaient dû boire. On avait un accordéon, ils en ont joué quelques mesures puis l’ont fracassé dans la rue. Ils devaient être assez répartis dans le village, car le feu est parti dans plusieurs maisons à la fois. Chez nous, on croyait être les premiers. Des hommes à la montagne, ont vu la première fumée chez Gillet, d’autres chez Chanel.»

M.Sabin Perdrix –
– «Le 14 avril 1944, les Allemands étaient déjà venus à Cuisiat. Ce jour-là, c’est Albin Mazuir et moi qui avons été alignés les deux derniers contre le mur (en tout, une quarantaine). Ils cherchaient un maquisard nommé Josserand qui, dans un accrochage au Col de France, avait perdu son portefeuille et ses papiers.?Il était cordonnier à Saint-Etienne du Bois; Ils nous ont montré sa photo: «Est-ce que vous le connaissez?». Tout le monde le connaissait. Personne n’a voulu rien dire. «Personne ne veut rien dire? On va en fusiller trois ou quatre par tirage au sort!». Rojat, le maire, a parlementé. On a pu finalement partir. Josserand était caché dans les ronces derrière le café! Marius Berthet avait été arrêté. C’est lui qui donnait les cartes de pain et qui s’occupait du maquis. Il a sûrement été dénoncé.»

Question : quelles ont été les exactions commises? Les incendies, certes, mais y-a-t-il eu des pillages, des arrestations, des assassinats?

M.Sabin Perdrix
-«Ils m’ont pris mon livret de famille et le livret militaire. L’argent, je l’avais mis dans une boite et enterré dans les patates.»

Mme Lucie Berthet
-«Chez nous, les matelas étaients tout éventrés. On m’avait pris un kilo de sucre, deux petites broches de mes enfants en or, l’alliance de mon mari, ma montre. Ma vaisselle était enfouie en terre. La maison conjugale n’a pas été brûlée, mais ma maison de jeunesse a été anéantie. Ma maman avait un pardessus et mon manteau sur le bras; c’est tout ce qu’elle a sauvé! Elle n’a pas vu les Allemands. Je me rappelle avoir vu un Allemand qui pleurait sur une borne. Il était très âgé.»

Mme Mathilde Lanliard
-«Il n’y avait que deux Allemands qui descendait chez Joly tandis que le rassemblement sonnait. M. Grozel et mon mari ont mis une vieille femme impotente sur un matelas dans un pré; Ils avaient demandé à un Allemand si ils pouvaient la mettre dans la fromagerie. Il a dit: «Non! Nous brûler tout à l’heure!». Dans la fromagerie, un Allemand avait pris du beurre, et plusieurs saucissons chez Joly, et il mangeait. Puis il est remonté. Mon mari est monté chez mes parents. Il a préservé la maison en jetant de l’eau. Ça avait déjà brûlé chez les voisins.
Si les Allemands n’ont pas mis le feu dans chaque maison, c’est qu’ils pensaient qu’il allait se propager d’un bâtiment à l’autre. Les deux Allemands qui restaient ont pris le vélo de ma sœur et unvélo à Mme Chanel. On a retrouvé les vélos à Coligny où ils ont dû rattraper la colonne.»

M.Albin Mazuir
-«ils ont brûlé la voiture de foin qui était devant la porte. Mon beau-père, avec un jet, a tenu arrosée la maison et l’a sauvée. Ce n’était pas des pilleurs; Ils étaient venus pour brûler. Chez mes parents, ils ont mis le feu dans le plancher de foin qui était attenant à la maison; Ils ont mangé à la maison et quand le feu a gagné, ils sont partis. Un Allemand , en partant, a quitté sa chemise qu était neuve et l’a donnée à mon père. Nous n’avons pas compris ce geste. Mon
père a sorti son extracteur à miel, de la farine et ma mère qui ne marchait pas, il l’a mise en face, dans un petit hangar qui n’avait pas brûlé. Les Allemands ont tué le chien de Mme Chanel, mais c’était pour impressionner, Pour bouleverser, pour braquer le pays contre la maquis. Ils ont brûlé sans discernement. La première fois, quand ils sont venus pour Pion, il n’y a pas de doute, quelqu’un avait dénoncé, mais pas là. La mairie avait commencé à brûler et l’incendie a été arrêté. Au château, ils ont brûlé des dépendances mais le château, qui avait commencé à brûler, a été épargné, ce qui était précieux car les Adams ont pu loger pas mal de gens.»

M.Marcel Grozel
-«Ils avaient mis le feu chez Marcel Rojat et on a vu que ça fumait derrière chez Joly. On est rentrés et on s’est trouvés avec le Boche qui était en train de mettre le feu dans les tiroirs avec du papier. On est restés avec lui un moment. Il ne savait pas trop ce qu’il voulait faire. Il est sorti et je suis sorti avec lui en le serrant de près pour qu’il ne mette pas la main à la bretelle.
Quand on a été dehors, j’ai dit : « Et là, la fromagerie et le café Vulin, vous mettez le feu? »
«Non». Tout d’un coup, il a pris ses jambes à son cou et il est parti rejoindre les autres. Il sautait bien les clôtures. C’est de là qu’on est montés chez Marcel Rojat. Avec Marius Lanliard, Mme Vulin et Mme Douvre,on a sorti la batteuse, à quatre! On s’est gênés ! Des gens sortaient du linge. J’ai demandé à une personne: « Et puis Célestine, vous l’avez enlevée ?»
« Et Non. Elle est dans sa chambre ». J’ai monté les escaliers séance tenante. Elle était là-bas. Je l’ai enveloppée dans une couverture et je l’ai mise sur mon dos, j’ai traversé la cuisine en feu et je l’ai emportée dans les vignes. Çà n’a pas duré longtemps. Une petite heure.En sortant de là, on est encore allés étendre le feu chez Robert Bidal et au café Bruno. On a encore déménagé les gruyères de la fromagerie qu’on a portés dans les vignes. Il y en qui nous regardaient depuis Montcel et qui croyaient que les Boches emportaient les fromages. S’il y avait eu une résistance, ça ne se se serait pas passé comme cela. Ils ont tiré un peu contre le Peloux, par exemple. Robert Bernard, qui montait se cacher sous les sapins, a eu son chapeau traversé par une balle. Puis les Allemands ont fait leur rassemblement vers l’ancienne gare pour partir sur Pressiat. Le gros de la troupe n’est pas descendu jusqu’à la fromagerie. C’était quelques isolés.»

M.Paul Joly
-«Ils cherchaient dans les meubles, mais je ne me souviens pas de pillage. J’avais des sœurs qui avaient 17-18 ans. Certains jeunes Allemands ont essayé de les caresser. Ils ont tiré sur mon beau-frère mais assez haut dans la montagne,sans doute parce qu’il s’enfuyait. On exploitait une propriété qui s’appelait la Tour de Vallières. Le feu a pris par le haut du bâtiment. Mon père a dit à mes sœurs, quand les Allemands ont été un peu repartis »I : il faut essayer d’allersauver quelque chose là-bas! ». La maison familiale était totalement brûlée, mais à Vallières, on a sauvé quelques lits en fer. Je ne suis pas remonté au village pendant trois semaines.
Les Allemands sont arrivés vers trois heures, trois heures et demie. Ils ne sont pas restés longtemps. Je me souviens d’un qui est venu nous demander dans quelle direction ses collègues étaient partis, un qui avait sans doute bien bu et manger chez Joly le boucher.»

Questions:
Quelles ont été les réactions près l’incendie ?
Les gens en ont-ils voulu au maquis ?

M.Sabin Perdrix
-« Non. Dans les gens du pays il y avait peut-être des pétainistes, mais il n’y a pas eu de réaction de la sorte. Je me demande par contre pourquoi ils ne sont pas descendus plus bas que chez Rojat.»

M. Marcel Grozel
– «Non, non, au contraire. Les gens se sont dressés contre les Boches. Pas contre le maquis.»

M.Albin Mazuir
– «Il y a peut-être un ancien ou deux qui leur a dit «Vous voyez le résultat de vos bétises!». Mais ce n’était pas tellement méchant. C’était plutôt des reproches pour des maladresses, car il y a eu des maladresses. Il y a des gens qui se sont promenés avec le pétoire en bandoulière. Les maquisards qui ont fait le plus de boulot, on ne les as pas tellement vus. Ils étaient à Montfort, cachés et venaient au ravitaillement. C’est comme une révolution: tout lemonde part. Il y a des disciplinés et d’autres non.»

Mme Lucie Berthet
– « Dans la maison on logeait au moins une vingtaine de FFI dans deux pièces.
Dés qu’il y avait une alerte, ils partaient à la montagne. Je déblayais ce qu’ils laissaient: des grenades, des victuailles. Et ma maison n’a pas brûlé ! L’infirmerie du maquis n’a pas brûlé! Le château des Adams, où il y avait le PC n’a pas brûlé. Partout ailleurs, ça a brûlé ! Pour quelle raison?
Les maisons qui logeaient des maquisards auraient dû brûler. En fait les Allemands ne savaientpas où ils brûlaient. Personne n’en a voulu au maquis.»

Question:  Comment se sont passé le retour et la reconstruction ?

M. Albin Mazuir – «Des gens des communes voisines ont amené des objets pour les sinistrés, des lits, un peu de tout et même du fourrage. Là, ça a été laborieux, car ils se sont recasés comme ils ont pu. Il faisait beau, c’était l’été. Les vaches étaient dehors. La reconstruction a vite démarré avec des provisoires, des hangars, des écuries en bois, où il y avait au moins deux cultivateurs.
Ce que j’ai apprécié, c’est que souvent le tas de foin était indistinct et qu’il n’y a jamais eu de disputes. Quand les gens sont pauvres, ils savent mieux s’entendre que quand ils ont du bien. En étant dans la même écurie, les contacts se font tout le temps.
Pour la reconstruction, on a fait un remembrement urbain. Deux architectes ont évalué en cubage ce qui avait été détruit car avant de construire, il fallait démolir. La reconstruction a dû démarrer quatre ans après. On a établi des ordres de priorité. On aurait dû conseillir la reconstruction en tenant compte de l’avenir de la famaile. On a reconstruit trait pour trait. Une personne âgée qui avait deux vaches, on lui a fait une écurie pour deux vaches. C’était peut-être difficile de lui refuser.»

M. Paul Joly
– «Le soir même, on a été beaucoup aidés. Je me souviens, le lendemain, une famille qui habitait Carisse nous a amené une fournée de pain; la marraine de M. Grozel nous a amené des draps. Au village, des familles habitaient à plusieurs dans les maisons qui n’ont pas brûlés, jusqu’au printemps 1946 où les bâtiments provisoires ont été construits. On y est restés jusqu’en avril 1950. On a pu mettre les bêtes fin 1949 dans leur nouvelle étable.
Et on était dans les premiers reconstruits parce qu’on état sinistrés total! La première qui a été terminée, c’est la maison Rojat. Ceux qui ont été sinistrés à demi ont été reconstruits dans les derniers.»

Question: pensez vous qu’aujourd’hui les jeunes savant ? Est-il important de leur apprendre?

Mme Lucie Perdrix
– « Les jeunes ne croient pas les vieux. Les nôtres qui ont 47 ans se rappellent bien. Nos petits-enfants, on leur a bien raconté. Çà serait peut-être utilie de leur apprendre pour que ça ne revienne pas.»

M.Sabin Perdrix
– « Çà serait peut-être pas si mal que ça! Pour que ne revienne pas une autre guerre. Ca les éduquerait pour la paix. Si la guerre veut venir, ce n’est pas ça qui va faire grand chose. Les décisions sont prises par les dirigeants, mais ça pourrait les influencer.»

Mme Lucie Berthet
– «Ah ! Oui, mais vont-ils le croire et le comprendre? Ils ne comprennent pas la cruauté des Allemands. Quand on leur dit, ils ont le sourire. Mais c’est utile d’en parler pour l’avenir.»

M. Marcel Grozel
– «Je ne sais pas. Ce qu’on a fait, les jeunes n’y prennent pas au sérieux. Pour eux, les vieux sont des indésirables. Ils n’y croient pas. Mon fils, lui, a ses propres souvenirs. Il n’était pas bien grand dans le moment. Tous les soirs, à 11 heures, il allait porter un litre de lait àun poste de maquis qui était isolé avec un fusil mitrailleur. Bien sûr, il faudrait qu’ils y sachent.»

Mme Mathilde Lanliard
– « Je ne sais pas s’ils le comprennent bien. Moi, je me rappelle déjà quand mon père est parti en 14. Moi, j’ai toujours eu la guerre sous les yeux. Les jeunes ne savent pas ce que c’est. Ils y voient à la télé mais ce ne sont que des films.»

M. Albin Mazuir
– « C’est bien de leur apprendre. On oublie facilement. Celui qui a vu, celui là est au courant. Ceux qui ont poussé après…»

M. Paul Joly
– « Chez nous, ils le savent car on en parle de temps en temps. Parmi les nouveaux habitants, certains m’ont demandé ce qui s’était passé, d’autres non. C’est intéressant de leur dire.
Je ne pense pas que s’il venait une guerre ça serait pareil, mais ça peut les éveiller à la question de la guerre. Cette génération n’a pas connu la guerre. Moi, je me souviens de la guerre, mais aussi des restrictions et des tickets. On sucrait à la saccharine. On n’a pas été privés de pain, mais ceux de la ville, oui. Les jeunes de la ville, ça serait bon qu’ils sahant comment leurs parents ont pâti ! »