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Commune de Bellegarde sur Valserine

Derrière ce récit collectif se cachent les figures de Jean Marinet et de Robert Molinati, fidèles gardiens de la mémoire des événements survenus à Bellegarde et sa région et parties prenantes de la réalisation du musée de la Résistance et de la Déportation à Nantua.

La localisation de Bellegarde en zone libre, séparée du Pays de Gex par le Ligne de Démarcation, sa situation au cœur d’un nœud ferroviaire et routier, vont faire de cette ville un lieu stratégique pour La Résistance française, pour les réseaux britanniques et bien sûr pour les Allemands.

Pour retarder l’avancée des troupes allemandes, décision est prise, le 19 juin 1940 vers 22h00, de faire sauter le pont de Coupy et le pont de Lucey… Mais l’explosif est mal dosé !
Le souffle de l’explosion détruit non seulement le pont de Coupy et son voisin le pont de Lucey, mais également 7 maisons d’habitation qui s’effondrent dans la Valserine…

Tous les bâtiments environnant sont soufflés, avec des dégâts important sur les toitures et fenêtres ! Un énorme bloc de pierre provenant du pont est même propulsé jusqu’à la Bourse du Travail en plein centre ville.

L'armistice : une ligne de Démarcation est imposée.

Ligne_de_Dmarcation

Les premiers…, les Mouvements

Dès octobre 1940, la première réaction des syndicalistes dans l’Ain se produit à Génissiat, sous l’impulsion de CHARENT, vieux militant anarcho-syndicaliste qui mourra plus tard en déportation. L’importance des effectifs ouvriers sur le chantier du barrage de Génissiat explique le dynamisme syndical de la région de Bellegarde dès avant la guerre. Un responsable C.G.T. départemental, MADRAS, vint alors à Génissiat tenir une réunion clandestine, ce qui lui valut d’être arrêté ainsi que CHARENT par la police française et de subir deux condamnations dont une à 6 mois de prison, MADRAS reviendra à Bellegarde en mission pour le M.O.F. (Mouvement Ouvrier Français) au début de l’année 1942.

Les premiers tracts distribués à Bellegarde ont été écrits à la main chez Marius MARINET par un petit groupe de militants comportant entre autres son fils Jean, Marcel BARBIER, René BOCHET, Roger DALLOZ. Ils étaient signés : « Mouvement Ouvrier Français ». Les liens qui existent à l’échelon départemental entre MADRAS et GREUSARD, chef du mouvement « Libération » sont tels que « Libération » prit contact à Bellegarde avec Marius MARINET et René BOCHET.

“Libération”: Paul PIODA de Bourg est le fondateur et chef départemental du mouvement « Libération » où il milite avec Henri MORANDAT, frère d’Yvon, René GREUSARD (dit « Dupleix »), Madras, Eugène VEREL, Marcel COCHET (professeur E.P.S. au lycée Lalande). Le mouvement « Libération » collabore avec le M.O.F. dont les militants contribuent à la diffusion du journal clandestin « Libération ». Par ailleurs, Paul PIODA cherche à recruter des jeunes. A la faveur de la bourse des livres scolaires qu’il organise pour les lycéens, il entre en contact avec deux d’entre eux : Paul MORIN et Marcel THENON du lycée Lalande. Ils sont partants et se chargent d’introduire « Libération » au lycée. Rapidement sont recrutées deux “trentaines” de futurs combattants, parmi lesquels Jean MARINET et Roger GUETTET de Bellegarde. Leur premier travail sera la diffusion des différents journaux clandestins à l’intérieur de l’établissement et dans leurs familles et leur groupe d’amis. Ils s’attachent à combattre l’intense propagande pétainiste que subissent les lycéens. “Libération” est le mouvement qui sera le plus actif à Bellegarde. Pour comprendre le cheminement ultérieur des contacts, il est nécessaire de parler de Léon MORANDAT (nom de guerre Yvon), originaire de Polliat en Bresse. MORANDAT se trouve en 1940, membre des F.F.L. à Londres. Il est récupéré par Maurice SCHUMANN qui le présente à De GAULE. MORANDAT préfère l’action il est parachuté près de Toulouse en novembre 1941. Sa mission est de contacter les syndicalistes C.G.T. et C.F.T.C. afin de les amener à se regrouper et à s’intégrer à la résistance sous la forme du Mouvement Ouvrier Français (M.O.F.). On ne dira jamais assez que le succès de la mission confiée à MORANDAT en 1941 devait conditionner en partie le succès de la mission de Jean MOULIN. Ce dernier, en obtenant la création des M.U.R. en janvier 43, puis celle du C.N.R. en mai 43, réalisera l’unification nécessaire de toutes les forces de la résistance.

“Franc-tireur” eut un développement  beaucoup moins important. ADHEMAR, dit « J3 », de Billiat, essayera de l’implanter à Bellegarde et à Nantua. ADHEMAR était très lié avec ALBAN-VISTEL qui deviendra le chef régional des M.U.R. Lorsque la famille d’ALBAN-VISTEL devra se cacher, c’est J3 qui lui trouvera un refuge chez son ami TROCCON de Bassy.

Combat” se déveolppe à Bourg, animé par le chirurgien dentiste Raymond CHARVET et Bob FORNIER. Ils ont des attaches avec le Général DELESTRAINT futur Chef de l’Armée Secrète pour la France. Combat sera le mouvement le plus représentatif dans l’Ain.

Le recrutement à Bellegarde va maintenant se développer et se diversifier, sans  volonté politique préalable, en vertue seulement de circonstances locales et départementales. Il avait pris naissance dans le milieu syndicaliste avec les MARINET, BARBIER, BOCHET et dans les milieux de gauche avec les BATON, PRANDINI, ROBOTTI. Maintenant il va faire tache d’huile dans tous les milieux et dans les communes rurales du secteur avec les JEANTET, GUIGUET, le policier MONVAL, DUBUISSON, MARINET Albert et Maurice de Vouvray, NERVI, MUSY, BAILLY, FENESTRAZ et combien d’autres. Il s’agit maintenant de mettre en place une unité combattante, il faut donc que les militants de la résistance deviennent des soldats clandestins. Pour les pionniers, la difficulté consiste à rechercher partout les hommes ayant la volonté de se battre, capables de prendre les risques de l’activité clandestine (arrestation, déportation, fusillade) et suffisamment sérieux et discrets pour ne pas compromettre la sécurité de l’ensemble.

Donc, dès la fin de 1942 la structure A.S. (Armée Secrete) va s’organiser. Dans le langage de la clandestinité le département de l’Ain aura comme indicatif : « CRISTAL ». La région de Bellegarde sera le secteur n° 4, d’où l’indicatif ” CRISTAL 4″ . Ses limites sont relativement floues. Le premier chef et fondateur du secteur “Cristal 4” sera Marius MARINET. Après son arrestation par la gestapo le 24 novembre 1943 Marius MARINET sera immédiatement remplacé par M. GUIGUET, chef des services techniques de la ville de Bellegarde. Mais la santé de M. GUIGUET s’étant rapidement altérée, c’est Edmond FENESTRAZ qui le remplacera très vite, passant ainsi de la direction du groupe de Génissiat à la responsabilité de l’ensemble, qu’il exercera jusqu’à la libération.

Les communistes avaient été paralysés par le Pacte germano-soviétique. Le déclenchement de la guerre germano-soviétique le 22 juin 1941 va normaliser les rapports entre les résistants de différentes obédiences. On retrouvera DADU chef de groupe dans l’A.S. de Bellegarde, COLLET (capitaine Théo) dans la résistance lyonnaise où il assurera en particulier des liaisons avec Marseille et Limoges. Le Front National sous l’impulsion de Louis PERRIN essaie de s’organiser. Il n’a pu se développer de façon significative dans ce secteur, devancé par “Libération”. L’arrestation de M. Louis CHANEL en février 44 lui porta un coup sévère.

Combat est le mouvement qui a crée ” l’Armée Secrète ” (A.S.) et ses secteurs. Lors de l’unification des mouvements de Résistance dans l’Ain (M.U.R.) en mars 1943, l’organigramme de l’A.S. départemental et celui des A.S.de secteurs (M.U.R.) sont calqués sur les anciens secteurs de Combat. Les secteurs de Bellegarde et Oyonnax bien marqués à Gauche, conserveront une relative autonomie.

Les Réseaux

A côté de ces mouvements se développent des “Réseaux” dont les ordres viennent de Londres:

– le B.C.R.A. (Bureau Central de Renseignement et d’Action) aux ordres de “La France Libre”.           .

– le S.O.E. (Special Operation Executive) aux ordres des Britanniques.

Le secret nécessaire à l’intérieur de ces réseaux fait que les hommes de base ne connaissent pas toujours leréseau pour qui ils travaillent. Ce sont de petits groupes. Ainsi à Bellegarde, plusieurs agents appartenaient à ces réseaux. La situation de la ville, dernière gare SNCF avant Genève leur était favorable.

– ORSET Olivier et son fils Henri appartenaient à une filière de passage de la ligne de démarcation sur la Valserine.

– PERREAR Joseph réseau non identifié, mort en déportation,

– BERTRAND Jean, dans le cadre de la « résistance-fer »  SNCF,

– BAFFERT agent de liaison du journal clandestin « Bir-Hakeim ». Il avait comme contact à Genève l’avocat suisse FRANKENS, sponsor du journal,

– NEYROUD Lucien (Louis ?) réseaux « Alliance » et « Gilbert ».

L’Armée Secrète

Dès la fin de 1943, l’Armée Secrète de Bellegarde est forte de 92 hommes d’après un témoignage de Marcel BARBIER.

       ALLOMBERT Marcel                                   MANDEL

       ALLOMBERT Paul                                      MARINET Marius

       ANDREANI Marcel                                      MARQUET Louis

       BARBIER Marcel                                        MONVAL Charles (Policier)

       BARBIER Maxime                                       MOREAU

       BARSOT Emile                                           MUTTINELLI Louis

       BASILE                                                      MUTUMELLI Jules

       BATON                                                       NINET Charles

       BELOTTI Paul                                             OMAR BEN DRISS

       BENI Jean                                                  PERNET

       BLANC André                                             PERRET

       BLANCHET                                                 PERRIN René

       BLASI Jean                                                 PIN Louis

       BOCQUET Lucien                                        PINARD Marius

       BOUCHOUX Victor (trésorier)                        PIROLLET

       BOCQUET                                                   PITHIOUD Roger

       BRUNATI                                                     POLONI

       CARRE                                                       PONCET Jean

       CARLIZZA Sébastien                                    PRANDINI Frédéric

       CARLOS Charles                                         RAMET Charles

       CHACORNAC Jean                                      RAYMOND

       CHEVREAU                                                 REGEFFE

       CLAPIER                                                     REYGROBELLET

       CRUNTZ ???                                                RENDU Marc

       DALLEMAGNE Léon                                     RICARTAZ

       DAVID Georges                                            ROSIOD Arthur

       DOMANGE                                                   ROSIOD André

       DUBORJAL                                                  RUGGIERI

       DUBUISSON Robert                                     SEIGNEMARTIN Henri

       DUCRET André                                            SESSO (Policier)

       DUFOUR André                                           SOGNO Arthur

       FENESTRAZ Edmond                                  STEFENCA

       FREIDOZ Victor                                          THOMAÏ

       GAUTHIER Gaston                                      THOMAÏ Nello

       GINDRE                                                      TOUQUET Guy

       GOURDOUX                                               TOUQUET Jean

       GOURDOUX Edmond                                  VAZETTE Henri

       GUICHON Henri                                          VIROLLET Germain

       HANZ                                                         VOLLERIN Norbert

       JACQUEMET                                              VOLLERIN

       JACQUES                                                   VUAILLAT

       JEAN                                                         ZANARELLI Joseph

       MARQUET Jean                                           ZANARELLI Charles

       JOLY Léon                                                   ZURCHER

       KOLLER

       LACROIX Louis

Le chef de secteur MARINET va développer les ramifications de l’A.S. dans toutes les directions : BARBIER s’occupe plus spécialement de la ville de Bellegarde où PRANDINI et GUIGUET assurent la présence résistante à la mairie. DUBUISSON recrute en Michaille, FENESTRAZ et BOVAGNE sont à Génissiat en liaison également avec GASSILLOUD pour le plateau de la Semine. MUSY organise la région de St-Germain-de-Joux avec BALLET à Montanges, BAILLY à Chatillon qui sera remplacé par BERTHET-BONDET après son arrestation. Du côté de Lancrans ce sont DALLEMAGNE et VOLLERIN qui militent ainsi que le brigadier-chef JARLE à la gendarmerie de Chezery. Dans le pays de Gex, MARCELOT crée un groupe à Collonges, MASSON à Thoiry et MAMY à Pougny. Tout fonctionne selon le principe du cloisonnement qui veut qu’on ne connaisse que les membres de son propre groupe, c’est-à-dire de 6 à 10 personnes au maximum.

Le rôle de l’A.S.:

Les fausses cartes d’identité et faux papiers en général devirent une occupation première. L’A.S. de Génissiat, dirigée alors par FENESTRAZ, était en mesure de faire des cartes d’identité portant le cachet du chef de la préfecture de police de Paris. Cet objet de collection est d’ailleurs encore entre les mains de Paul FENESTRAZ son fils. Tout un matériel de faussaire avait été fourni par un groupe de F.T.P. de Paris en échange d’un stoc d’explosifs.

A Bellegarde le spécialiste de cette activité était Frédéric PRANDINI (Kiki), membre de l’A.S. dès l’origine. Il usait de sa situation de secrétaire de mairie pour fabriquer des cartes irréprochables, en quantités importantes. Son matériel qui consistait en une panoplie de cachets communaux d’origines diverses, était dissimulé sous une latte mobile du parquet de son bureau. Ni gravité de la situation ni les risques qu’il prenait n’altéraient d’ailleurs sa légendaire bonne humeur. Le maire de Bellegarde lui-même, Monsieur BERTOLA, avait une filière pour obtenir des cartes dans les services préfectoraux.

 Recueillir les parachutages, transporter et cacher les stocks d’armes sont une autre activité : la première livraison venait d’un parachutage sur les Glières. Elle fut dissimulée dans un trou recouvert d’un tas de bois dans le jardin de BARBIER. Un parachutage eut lieu le 3 mars 44 sur la Michaille et fut dispersé par un vent violent jusque de l’autre côté du Rhône, où l’A.S. de la Semine put récupérer le matériel. MUSY avait trouvé une astucieuse cachette à l’intérieur de ses ruches. Une autre se trouvait dans un creux de rocher à la cascade de Trébillet. Un transformateur désaffecté de l’E.D.F. à la perte du Rhône reçut un stock transporté par un camion E.D.F. A Vouvray une cachette provisoire fut trouvée dans le corps même de la batteuse du village puis dans un trou sur le talus de déchets des fours à chaux. Enfin Dino ROBOTTI avait une cache à Cuvery où une équipe (GUICHON, LACROIX, CHACORNAC) alla chercher, avec une voiture dérobée, les armes qui devaient être distribuées le 7 juin 1944 à la « poudrière », lieu de rassemblement.

Les journaux clandestins et les tracts. Il fallait donc organiser l’acheminement de ce matériel depuis Bourg ou Lyon avec tous les risques que cela pouvait comporter à cause des contrôles effectués dans les trains, dans les gares et sur les routes par la police française et les Allemands. Pour le secteur de Bellegarde, ce travail était placé sous la responsabilité d’ADHEMAR dit « J3 » de Billiat. 

Les Maquis-refuges

A Bellegarde, les jeunes gens de la classe 42 qui venaient de passer la visite médicale d’incorporation au S.T.O. (mars 1943) se rassemblent devant la mairie et forment un cortège, brandissant des drapeaux tricolores et scandant les slogans de refus du départ en Allemagne. Le cortège défile rue de la République, rue Paul-Painlevé et avenue de la Gare pour venir manifester devant la kommandantur installée à ce moment à l’hôtel Terminus. Il n’y aura pas de réaction de la troupe allemande. A Bourg, Oyonnax, St-Claude, on manifeste de même.

Comment échapper au départ en Allemagne ? La dispense médicale ne pouvait être que le privilège de quelques uns malgré la complicité de certains médecins. Quelques uns trouvèrent une « planque » chez un cultivateur complaisant comme ouvrier agricole clandestin ou muni de faux papiers. Dans l’industrie, des employeurs jouèrent aussi ce jeu. L’important chantier du barrage de Génissiat était devenu ainsi un refuge pour de nombreux réfractaires de notre région.

Une filière pour cacher les clandestins existait déjà entre la coopérative « La Ménagère » et  un camp en Hte-Savoie dont un des maillons était un instituteur de Cluses (gendre de M. TARETTE, quincailler à Bellegarde). Elle fut utilisée par GUICHON, mais capturé avec tout son groupe par l’armée italienne et ils furent jugé par un tribunal militaire. Guichon réussira à s’évader et à revenir à Bellegarde. Les facilités offertes par la configuration montagnarde de notre région incitèrent des réfractaires à se réfugier, par petits groupes indépendants, dans des fermes de la montagne, voir même dans des huttes construites pour la circonstance. Cela posait à leurs familles le difficile problème du ravitaillement et de la perte de salaire. Tout autour de Bellegarde, de nombreux camps spontanés et indépendants se constituèrent pour quelques semaines ou quelques mois pendant le printemps de 1943 : camp de La Liez, du Charnay, de Pré Devant, du Retord, camps très mobiles, se déplaçant souvent.

L’ A.S. de Bellegarde initiait les camps-refuges des LADES, des FRASSES, du GROS TURC, sur le rebord du plateau de Retord qui domine la Michaille.

Le camp de LA LIEZ n’était qu’une hutte dans la forêt, tandis que celui des FRASSES était une ferme qui fut d’ailleurs incendiée plus tard.

Le camp du GROS TURC, au-dessus de Villes était une baraque de chantier, donnée par Robert DUBUISSON et montée là-haut par Albert et Maurice MARINET avec leurs chevaux. La toiture était faite de tôles récupérées sur la porcherie du THUMET et d’autres offertes par M. Jules ARNAUD sur la sollicitation de Marius MARINET.  Le camp du « GROS TURC », un des trois premiers camps de l’Ain, composé d’ Honoré de GIROLAMI, Charles BILLON, Rino PETITJEAN, BOUVIER, TARAVEL, GARIN, MAGNIN, BARDONNE, BUATHIER, Henri CADDOUX, Roger CATHALA, SAVOYAT (nommé responsable). Ils étaient munis d’une seule arme existante, un pistolet d’ordonnance, relique de la guerre de 14-18 (confiée par Marius MARINET).

La ferme des « CAPETTE » avec Francis DESSEMME.

La cabane de « LA LIEZ » avec CHATELARD, ROCHAIX, CHEVALLIER, CHARANSONNAY, MOUREAU.

La cabane des FRASSES  avec Francis HERIN.

Le camp du “Gros Turc” devait seul subsister.  Reliques du camp:

C’est l’A.S. de Bellegarde qui assura la logistique du “Gros Turc”. Deux points de chute principaux existaient à Bellegarde. La coopérative La Ménagère et le café-restaurant BATON, recevait des réfractaires, envoyés de Lyon et Saint-Etienne, là ils étaient filtrés. Dino ROBOTTI et René BOCHET, avaient la charge de mener les réfrctaires au camp, ils étaient les agents de liaison permanents, avec occasionnellement DUBUISSON, Albert MARINET et son fils MAURICE, tous de Vouvray.

Témoignage de Roland MONNET (Archives départementales): Sous le titre « de la guerre froide à la liberté ». :
« Début mars 43. Je suis convoqué, comme d’autres, à me rendre en mairie ou au commissariat pour accuser réception de l’avis d’appel, ce que j’exécute, mais je ne me rends pas à la visite médicale. Je quitte Bourg en direction de la Savoie. Le passage du Rhône est contrôlé. J’apprends à Bellegarde, par le charcutier MAGNIN, qu’un maquis va se former sur le plateau de Retord à la Croix Jean-Jacques. Ainsi, sous la responsabilité et la conduite de DUBUISSON de Vouvray et d’un dirigeant politique de Bellegarde, je monte avec Rino PETITJEAN, BELLOTTI, ZANOTTI, PETIT et DONAZOLE (tous deux morts au maquis) et d’autres au camp . Pas d’armes, nous attendons des responsables de l’armée secrète, des parachutages éventuels et devons suppléer à un ravitaillement irrégulier. L’accès de Bellegarde nous est interdit ».

Le ravitaillement Les réfractaires étant en situation irrégulière, ne pouvaient posséder de cartes de rationnement. Alors ce fut le règne de la débrouillardise : les dirigeants de l’A.S. durent se transformer en collecteurs de dons, en trafiquants comme ceux du marché noir, en collecteurs de pommes de terre auprès des cultivateurs. Ils durent encore faire appel aux spécialistes de fausses cartes, c’est-à-dire souvent aux secrétaires de mairie comme Kiki PRANDINI déjà cité, ou BERTIN à Lancrans et combien d’autres…faire appel aussi aux cheminots pour la fourniture de tabac suisse ! La viande était fournie le plus souvent pas la boucherie TARAVEL de Chatillon grâce aux abattages clandestins. La coopérative qui fournissait le pain au camp du GROS TURC se trouva très vite avec un énorme déficit de tickets de pain. Il fallut alors employer les grands moyens c’est-à-dire organiser des actions de commando dans les mairies pour subtiliser les tickets au moment où commençait la distribution mensuelle.

Un coup particulièrement important fut réussi à Bourg. Jean BLANDON, membre du comité directeur départemental des M.U.R. et plus spécialement chargé du ravitaillement venait régulièrement à Bellegarde pour apporter au chef de secteur soit des tickets, soit un chargement de ravitaillement. Son métier de représentant de commerce était une bonne couverture. Il en usait avec un tranquille courage. La population n’eut pas à souffrir de ces actions car les tickets étaient immédiatement remplacés par les services du ravitaillement.

La pénurie de vêtements et chaussures et leur très mauvaise qualité devint un souci car vivre dans la montagne implique un équipement minimum. Les familles des réfractaires Bellegardiens étaient en mesure de résoudre tant bien que mal ce problème. Mais on a vu arriver au camp du GROS TURC des Lyonnais en souliers bas et costume de ville ! Les questions sanitaires, aggravées précisément par la précarité de l’équipement et de l’hébergement, se posèrent à leur tour. Les citadins durent s’habituer à supporter une vie fatigante et les intempéries. Leur adaptation à la rudesse de cette nouvelle vie posa parfois quelques problèmes médicaux.

Les soins: S’assurer la complicité active de quelques médecins ne fut pas réellement une difficulté. Le docteur MALET, installé alors à Châtillon, devint le médecin habituel des premiers maquisards. Cela lui valut d’ailleurs d’être inquiété et obligé de passer dans la clandestinité, lui aussi. Le docteur LARRIEU de Bellegarde vint alors à la rescousse ainsi que le docteur SALUCKI de St-Germain-de-Joux.

Le financement: Enfin, sous-tendant tout cela, les inévitables problèmes de financement se manifestèrent sans tarder. L’insuffisance des moyens apportés de l’échelon supérieur obligea les dirigeants à user d’expédients divers comme par exemple l’exécution par les maquisards de travaux de bûcheronnage pour le compte d’exploitants forestiers amis. Mais ils n’étaient pas nécessairement compétents pour le faire, ni très motivés parfois.

Le danger: On imagine sans peine que toute cette activité avait porté un sérieux coup à la clandestinité de l’A.S. Dans de telles conditions, le secret ne pouvait plus être préservé et devint bientôt le secret de polichinelle. Les indicateurs répandus dans la population par la gestapo n’eurent pas grand mal à connaître un certain nombre de noms. Si la naissance des maquis a eu pour effet bénéfique la création d’unités combattantes particulièrement efficaces, elle a eu en contrepartie l’inconvénient d’obliger les dirigeants de l’A.S. à sortir du rôle qui était le leur à l’origine et à « se griller » pour faire face aux problèmes. Certains y laissèrent leur vie, bien avant les combats de la libération, dont le chef de secteur, Marius MARINET, arrêté sur son lieu de travail par la Gestapo le 24 novembre 1943 et mort en déportation. Mais aussi John MASSON de Thoiry arrêté le même jour, lui aussi mort en déportation, tandis que Joseph DEMORNEX, restaurateur à Saint Jean de Gonville eut le bonheur de revenir.

Les premières arrestations de maquisards (camp Michel) sur le Retord: dès l’été 1943 les G.M.R. (Groupe Mobile de Réserve) ont commencé à pourchasser les réfractaires et maquisards. Sous la direction du Sous-préfet de Nantua, M. DEMAY, ardent vichyssois, leur première opération dans notre secteur aboutit début août 43 à l’arrestation sur le plateau de René BOCHET de Vouvray. “C’est un agent de liaison de la première heure, Dino ROBOTTI. Il est sans arme ni document et déclare être bûcheron. Une équipe de bûcherons espagnols employés par Robert DUBUISSON est également inquiétée. Le tribunal de Nantua, plein de mansuétude, le condamne à trois semaines de prison. Cela pouvait donc être une affaire bénigne sans l’acharnement du Sous-préfet qui lance alors contre lui un mandat d’internement administratif (voir lexique). Heureusement, le juge d’instruction DAVENAS, qui est un résistant, retarde la transmission du mandat entre son bureau et la prison, si bien que BOCHET, qui a déjà accompli ses trois semaines de prison en prévention, est libéré aussitôt après le jugement. A cet instant, il ignore l’existence de ce mandat et circule ouvertement en ville, ignorant qu’il est recherché pour être arrêté de nouveau. Son cousin Jean MARINET, venu assister au jugement a été informé par l’avocat, Maître ROGIER, et le cherche. Il le rencontre enfin et organise son retour chez lui, à Vouvray. Le lendemain matin, le policier MONVAL reçoit l’ordre de l’arrêter à nouveau et en informe Jean. René BOCHET sera alors expédié d’urgence en Haute Loire, muni d’une fausse carte d’identité, de lunettes et les cheveux teints. Cette histoire qui finit bien et qui aurait pu mal tourner, prend tout son sens quand on connait le parcours de Paul MORIN et Marcel COCHET à Bourg. Arrêtés le 18 juin 1943 par la police française sous l’inculpation de propagande gaulliste, ils sont relâchés le 21 juin faute de preuves. Mais ils sont arrêtés de nouveau le 22 juin sur « mandat d’internement administratif »délivré par le Préfet qui est mécontent du laxisme du juge d’instruction. Cette fois, ce sera la prison de Bourg puis la prison de Montluc à Lyon, la centrale d’Eysses et enfin la déportation en Allemagne, au camp de Dachau…”

A la même époque et au même endroit, la première opération allemande sur le plateau se solde par l’arrestation à la Combe de la Manche, de deux réfractaires sans armes, Antoine RUGGIERI et Pierre BLANC de Vouvray. Opération étonnante car exécutée par un petit groupe d’Allemands montés à bord de deux voitures seulement, qui ne peut donc s’expliquer que par une dénonciation. Quoi qu’il en soit, RUGGIERI et BLANC sont capturés et emmenés chacun dans une voiture, RUGGIERI qui connaît très bien les lieux, met à exécution une idée audacieuse :
Le premier tournant au-dessous de la CROIX JEAN-JACQUES, au lieu-dit le DHIER, est une épingle à cheveux très prononcée qui oblige les véhicules à ralentir fortement. Lorsque la voiture arrive à cet endroit, il bouscule le soldat allemand assis près de lui, réussit à ouvrir très vite la portière qui était mal fermée à cause de la bretelle de son sac, saute de la voiture, saute ensuite du haut du mur de soutènement du virage, 4 mètres environ, et disparaît dans la forêt avant que les Allemands médusés aient pu réagir. Naturellement ce genre d’acrobatie ne pouvait être répété et Pierrot BLANC dût rester prisonnier. Par chance, il ne fut pas envoyé dans un camp de déportation mais dans un camp de travail au titre du S.T.O. et de ce fait pu connaître la joie du retour. On reparlera d’ailleurs de RUGGIERI lors des combats du FORT-l’ECLUSE.

Les actions de L’AS

Les coups de mains et actions de commandos étaient plutôt du ressort des maquis plus aguerris que les sédentaires. Il convenait d’éviter que l’A.S. prenne trop de risques avant le signal de l’insurrection. Mais elle aura cependant pour rôle de préparer, d’aider et de protéger parfois l’exécution de ces actions. De toute évidence le maquis aurait été bien démuni s’il n’avait eu ce point d’ancrage dans la population que constituait l’A.S..

Ainsi “Le coup du stand de Vanchy” est un bon exemple. “L’A.S. sait que les allemands ont un dépôt d’essence dans le bâtiment de l’ex-stand de tir de Vanchy. On veut l’enlever pour la Résistance, et le stocker en Savoie. Il faudra un camion. Un employé des ponts et chaussées fera en sorte que le garage de ce service reste ouvert pendant la nuit. On « emprunte » le camion, on récupère l’essence et on la transporte, puis on abandonne le camion sur la RN 84 à la sortie de Bellegarde afin que le service des ponts et chaussées puissent le retrouver.”

Surveiller le comportement des éléments suspects et transmettre les renseignements à ce sujet au service de renseignement est aussi une des tâches de l’A.S. Dans le chapitre « des français dans la gestapo » sont racontées quelques affaires significatives dans laquelle la participation du policier résistant Charles MONVAL fut déterminante.   Dino ROBOTTI et René BOCHET étaient chargés des liaisons avec les camps. Il leur arrivait aussi d’aller en liaison à Bourg ou à Lyon. Jean MARINET portait à Bourg chez le dentiste Charvet, responsable du service renseignement des M.U.R, les plis concernant cette activité. Il porta depuis Bellegarde chez RITOU à La Cluse, le « Plan vert », roulé dans le tube de selle de son vélo. Les plis de faible volume trouvaient cachette dans une doublure de vêtement ou un talon de chaussures, la possibilité d’une fouille par des policiers allemands ou français étant toujours à craindre.

C’est pendant l’été 1943 que l’A.S. fut chargée de mettre au point le « Plan vert ». Recruter des groupes de combat, les armer, les instruire n’aurait servi à rien si l’on n’avait pas répertorié et décrit les objectifs que ces groupes devaient détruire lors de l’insurrection générale. Une note aux chefs de secteur demandait un rapport détaillé appelé « Plan Vert », ainsi conçu (résumé ainsi).

–  Objectif 1 :les P.C. ennemis (nature, emplacement, locaux, moyens de transmission)

–  Objectif 2 :les emplacements ennemis (casernes, postes de garde, dépôts de matériel, services administration)

–  Objectif 3 :repérage des possibilités de sabotage sur voies ferrées, routes, lignes électriques, projets d’opération de destruction (définitive ou passagère).

Renseignements généraux : repérage des· chefs de milice, de légion, de P. P. F., de police. Possibilités de rapports avec les grandes administrations, etc.

De La Cluse, RITOU porte le « Plan Vert » à Oyonnax chez Elie DESCHAMPS, professeur au lycée technique, chargé de faire la synthèse départementale de tous le « Plans Verts » des différents secteurs de l’Ain. On imagine aisément le déploiement d’activités suscité au sein de l’A.S. pour recueillir tous les renseignements nécessaires auprès des professionnels qualifiés et, dans la population et pour en effectuer la synthèse. Telle était la vie des membres de l’A.S., avec en filigrane, le risque permanent d’être repéré, dénoncé. Un poste émetteur existait à Bellegarde pour la liaison avec l’Angleterre, dont le fonctionnement était assuré par M. LAPERTOT. Celui-ci, avec l’aide de Michel DELAPRISON, sillonnait la campagne pour trouver des maisons isolées accueillantes, chaque émission devant être faite d’un lieu différent. L’école d’Eloise en fut une.

Pour encourager les craintifs ou les hésitants et leur prouver que quelque chose était possible, on a hissé de nuit le drapeau tricolore à croix de Lorraine au mât dressé place Carnot pour l’envoi des couleurs par la légion (le 14 juillet 43 et le 1er mai 44), de telle sorte que ce fut toute une entreprise pour l’ôter. Il avait fallu pour cela tromper la patrouille allemande qui parcourait les rues toutes les nuits. Le 14 juillet 1943, le coup avait été exécuté, avec l’accord du chef de secteur par trois lycéens (Jean MARINET, Roger GUETTET et Jean LACHARME). Les maquis de l’Ain venaient de réaliser un exploit aussi hardi qu’imprévu. Des maquisards bellegardiens participaient à cette aventure, parmi lesquels Francis HERIN, Henri ORSET, NIOGRET, Jean CHEVALLIER, CARROZ, MARINI, Jacques DURAND.

Pendant la nuit, des groupes de l’Armée Secrète avaient déposé des gerbes portant la même inscription. Les gerbes de Bllegarde avaient été cachées à « La Ménagère », magasin tenu par Marius MARINET. Ce sont BARBIER, VOLLERIN et MUTINELLI qui furent chargés de l’opération sur Bellegarde et LACROIX et DOMANGE à Arlod.

Les objectifs visés étaient les pas de porte de collaborateurs particulièrement notoires, dont les propos ou l’action n’étaient plus supportables pour ceux qui risquaient chaque jour la fusillade et la torture. Noter que, à cause du couvre-feu imposé par les Allemands, aucun Français ne pouvait se trouver sur les lieux. Il fallait, pour poser ces charges, prendre le risque d’être surpris par la patrouille allemande. Le restaurant de M.BATON, chef civil de la résistance de Bellegarde, était situé juste en face de la vitrine d’un marchand de chaussures « plastiquée » par l’A.S. La déflagration détruisit la vitrine de M.BATON en même temps que celle du « collabo »…mais il n’était pas en mesure de se plaindre.

La région de Bellegarde-Pays de Gex était sous l’autorité de la Gestapo de Gex dont le chef était un certain CAPRI. La Résistance prévoyait de l’enlever. Le 24 novembre 1943, juste avant l’exécution du projet, la Gestapo arrêtait simultanément Marius MARINET à Bellegarde, John MASSON à Thoiry, Joseph DEMORNEX à St Jean de Gonville, Lucien POUCHOY à Bourg, PERRIER et ADENOT, tous mêlés à cette affaire à des titres divers. Un groupe de maquisards, et de l’A.S de Bellegarde, s’étaient préparés à attaquer la prison de Gex pour récupérer les prisonniers. Mais les Allemands, prévoyants, les avaient conduits directement à la citadelle de Besançon car la prise était bonne. En effet MARINET connaissait bien toute la structure des M.U.R., s’il avait parlé…… Déportés ensuite, ils devaient tous périr sauf Joseph DEMORNEX qui put rentrer en 1945 bien que très affaibli, ainsi que ADENOT.

L’arrestation de Marius MARINET (témoignage de son fils Jean)

“Le 24 novembre 1943, au lycée Lalande, les internes des classes de 1ère et de terminale travaillent en salle d’étude après le repas du soir. Les élèves sont studieux, trop penchés sur leurs cahiers à cause d’un éclairage insuffisant. Je n’ai pas le cœur à l’ouvrage, il se passe tellement de choses à l’extérieur. Soudain, le concierge apparait et me fait signe de le suivre. On m’attend au parloir. Que se passe-t-il d’important pour que j’aie une visite à une heure aussi tardive ? BAILLY, chef de l’A.S. de Châtillon et GROSPIRON, commerçant voisin de mes parents sont là, visage grave. « Ton père et ta mère ont été arrêtés aujourd’hui par la Gestapo sur leur lieu de travail. Ta mère a été relâchée, mais ton père doit se trouver maintenant à la prison de Gex. Toi, tu ne sembles pas menacé, car les Allemands n’ont pas fait mention de ton existence, mais il faut que tu préviennes les dirigeants départementaux que nous ne connaissons pas. »

C’est le choc. Et, pourtant, je sais bien que c’est le risque que nous avons tous accepté de prendre. Je pense à ma mère, complètement impliquée elle aussi dans ce combat. Je sais qu’elle sera forte. Mais comment réagira ma jeune sœur, qui, malgré ses onze ans, doit être parfaitement consciente de la gravité de l’événement ?

Il faut réagir. Ce n’est pas le moment de flancher. Mon père est le chef de secteur de l’Armée Secrète. Il connait l’identité et l’adresse des dirigeants départementaux des M.U.R. (Mouvements Unis de Résistance). Sa grande force de caractère est bien connue, mais on sait que la Gestapo pratique des techniques d’interrogatoire qui peuvent briser les plus courageux. Il faut, en effet, donner l’alerte immédiatement.

Je ne dois rien laisser paraître, attendre le coucher et l’extinction des feux, me relever discrètement et « faire le mur ». Une fois dehors, je me déplace avec prudence pour éviter d’être contrôlé par une des patrouilles allemande ou milicienne qui circulent en ville toutes les nuits. J’atteins enfin la rue de la Citadelle devant le domicile de Monsieur GREUSARD (Dupleix dans la Résistance), le président des M.U.R. Je frappe longtemps sans obtenir de réponse. Enfin, la porte s’entrouvre à peine et une dame apparait. Malgré mon insistance elle refuse de me recevoir. Monsieur GREUSARD est absent, prétend-elle. Je ne peux que lui donner le message. (J’ai appris plus tard, de la bouche de Monsieur Greusard, qu’à ce moment même, se tenait chez lui une réunion des dirigeants départementaux avec le colonel ROMANS, chef des maquis)

Dès le lendemain, le colonel ROMANS mit sur pied deux corps francs de maquisards pour intervenir sur la prison de Gex. L’A.S. de Bellegarde avait, elle aussi, préparé un groupe d’intervention. Ce fut en vain, car on apprit que mon père avait été transporté tout de suite à la Citadelle de Besançon.

Deux mois plus tard, il était expédié au camp du Struthof avec la qualification N.N. (Nuit et Brouillard). Les N.N. étaient encore plus maltraités que les autres déportés, ils n’avaient même pas droit à l’uniforme rayé, étaient vêtus d’oripeaux trouvés ça et là, Marius MARINET portait un manteau de femme. Au bout de neuf semaines de travail à la carrière, en plein hiver, le ventre vide, il décédait de froid, de faim, de coups et d’épuisement par le travail. Le seul de ses compagnons de misère qui ait pu survivre, Joseph DEMORNEX de saint Jean de Gonville, m’a raconté qu’il l’avait tenu mort dans ses bras sur la place d’appel car, au Struthof, les N.N. devaient être présents debout à l’appel, même morts et devaient disparaître sans laisser aucune trace, entre Nuit et Brouillard. »

Les dénonciations

Elles parvenaient à la kommandantur de Bellegarde, à l’hôtel de la Colonne elles étaient souvent communiquées à MARINET par M.DOUCET, par le patron de l’hôtel, qui profitait de sa liberté de déplacement dans son établissement pour jeter discrètement un coup d’œil sur les papiers que les officiers laissaient parfois traîner sur les bureaux. C’est ainsi que Marcel BARBIER entra en possession d’une dénonciation le concernant ainsi que les « employés de mairie ». Une autre dénonciation de CARETTI fut repérée par une jeune Suisse, femme de ménage, employée à la kommandantur de Gex. Lucien BOCQUET, membre de l’A.S, y était signalé comme « communiste » (ce qui était faux) « terroriste dangereux toujours armé ». Au moment du débarquement, CARETTI réussira à disparaître et on retrouvera sa trace dans un maquis de la région d’Hauteville. Arrêté par MONVAL, il fut confronté à BOCQUET et JOSROLAND qui purent attester l’avoir vu en compagnie de CAPRI. MONVAL connaissait aussi la dénonciation de novembre 1943. CARETTI sera condamné à mort par le tribunal de Nantua. Mais il sera sauvé par les Allemands lors de l’attaque de juillet 1944 et échappera au châtiment en disparaissant définitivement, probablement en Italie, malgré les recherches des familles MASSON et MARINET.

Pendant l’année 1943 et le début de l’année 1944, notre région fut également le champ d’action d’un agent de la Gestapo nommé DENIS. Il ne faisait d’ailleurs aucun mystère de son activité et la population toute entière savait à quoi s’en tenir à son sujet sans pour autant connaître les mouchards qu’il utilisait. Le P.C du colonel ROMANS prit, à juste titre, la décision de neutraliser un homme aussi dangereux, organisa un « coup de main » dont l’objectif était de capturer DENIS à Bellegarde, le conduire au P.C pour essayer d’obtenir les renseignements nécessaires au démantèlement de son réseau, et le passer en jugement. L’opération fut confiée au camp RICHARD, avec la participation de SARDI. Une camionnette bâchée quittait le plateau, un commando à l’intérieur, SARDI au volant. Etant en avance sur l’horaire, le groupe s’arrêta un moment au café MARINET à Vouvray, maison sûre, avant de descendre à Bellegarde où il savait trouver DENIS au café de Paris, rue Bertola. Le coup était dangereux car la troupe allemande occupait l’Hôtel de la Paix, situé juste à côté de l’Hôtel Terminus, quelques dizaines de mètres plus haut de l’hôtel de Paris, rue Bertola.

“La camionnette arrive par la rue Lafayette et s’arrête au carrefour, moteur en marche, SARDI toujours au volant. Deux maquisards entrent au bar de l’hôtel de Paris, rue Bertola, leurs armes cachées sous les vêtements et s’installent au bar. Deux hommes, passants anonymes, sont dehors sur le trottoir, grenades en poche, pour neutraliser une réaction éventuelle des Allemands proches. Ce sont ZAMBONINI, chef du groupe franc F.T.P et BAILLY, chef de l’A.S de Chatillon. Le docteur MALET et Dino ROBOTTI sont là également. MONVAL est à l’intérieur ; il discute avec DENIS qu’il connait et qui est attablé avec une tierce personne. Il doit clore la conversation avec lui et le quitter en lui mettant la main sur l’épaule pour que les maquisards ne se trompent pas de cible.

MONVAL sort, MAZEAU chef du groupe entre dans le bar. C’est le signal. Les deux maquisards sortent leurs armes et ordonnent : « DENIS rends-toi », mais au lieu d’obtempérer DENIS sort son pistolet. Il faut l’abattre avant qu’il ne puisse tirer. Pendant que le reste du commando coupe le téléphone et retient le personnel à l’intérieur, le corps de DENIS est transporté jusqu’à la camionnette car il faudra rendre compte du déroulement de l’opération. Démarrage en trombe.

On va si vite que le carrefour de la route de Vouvray est manqué et qu’il faut passer par le passage à niveau d’Arlod. La barrière est en train de se fermer, mais le garde-barrière rouvre précipitamment à la vue d’une mitraillette. MONVAL et son inséparable compagnon SESSO, qui étant encore en activité dans la police, ne doivent pas se découvrir, font semblant de poursuivre la camionnette à bord de leur Simca 5. La fermeture du passage à niveau après le passage du commando sera pour eux une bonne excuse pour abandonner la prétendue poursuite. Détail piquant, des gendarmes intrigués par cette voiture arrêtée au carrefour avaient voulu contrôler les papiers. Mais SARDI, bien armé, avait su les convaincre de s’éloigner.”

En mai 1944, un autre mouchard fut mis hors d’état de nuire grâce à une opération du même type bien que plus discrète. Un jeune nord-africain, qui parlait parfaitement le français avait été repéré par MONVAL comme étant déjà présent à Bellegarde pendant les opérations allemandes d’avril. Il mangeait en ville, se promenait, fréquentait les cafés, parlant peu, écoutant beaucoup. Renseignements pris, il venait d’Ambérieu et travaillait pour la Milice. Un commando de l’A.S de Bellegarde réussit à s’emparer de lui au restaurant PERRIN où il prenait ses repas. Conduit jusque sur le plateau il fut livré à la justice maquisarde.

Lorsque BAILLY, chef de l’A.S de Châtillon, est rentré de déportation il nous a raconté avoir eu la surprise de retrouver à Buchewald un dénommé CHATILLON qui habitait Arlod et qui avait été repéré par la Résistance comme ayant des contacts avec les Allemands. C’est une certitude qu’il se rendait de nuit à l’hôtel de la Colonne à Bellegarde où se trouvait la kommandantur. BAILLY savait cela avant d’être arrêté. Alors comment pouvait-il en fin de compte être déporté par les Allemands ? L’explication est la suivante. Lorsqu’un mouchard comme celui-ci était repéré, les Allemands l’employaient alors auprès des détenus. Il était donc emprisonné avec les résistants à Montluc à Lyon pour essayer d’en tirer des renseignements à la faveur de la confiance qu’on pouvait faire à un autre détenu. Il effectuait aussi avec eux le voyage entre Montluc et Compiègne (camp de répartition d’où partaient tous les déportés). Mais quand il finissait par être repéré également dans cet emploi, les Allemands s’en débarrassaient tout bonnement en le laissant un jour partir en Allemagne avec ses propres victimes. Ainsi CHATILLON s’est retrouvé face à face avec les résistants de l’Ain au camp de Buchenwald. La rencontre on s’en doute, ne fut pas cordiale. C’est lui-même qui donna l’occasion aux résistants de faire justice. Conformément à sa mauvaise nature, il fut surpris un jour en train de voler le maigre morceau de pain qu’un déporté avait pu économiser. Dans l’enfer des camps c’était un crime. Alors les déportés firent justice eux-mêmes. La vie d’un homme dans les camps tenait à si peu de chose que ce fut chose facile.

Les Maquis combattants

Il apparait impératif de structurer à l’échelon départemental ces camps refuges, qui se sont développés aussi à Chougeat, Cize, Chavannes, la ferme du Revers (Thoirette). L’important et l’urgent c’est de trouver un chef, un officier qui accepte d’entreprendre le regroupement des camps épars, de faire leur instruction..

Cet homme, sera le capitaine ROMANS (PETIT de son vrai nom), officier de réserve de l’aviation.

Le camp du Gros Turc, est situé dans la forêt du même nom, prés de la ferme de Chenet au dessus de Villes, louée par R. Dubuisson. Un paysan de Charix y a remisé une quarantaine de mouton, l’eau et la viande sont ainsi fournies. Le Lieutenant Mauro Martin en est le commandement.

 En juin 1943, la base du camp s’élargit. L’apport de la région lyonnaise est sensible, comme le retour de jeunes qui s’étaient réfugiés en Haute-Savoie. Ce camp connait de grosses difficultés, surtout pour le ravitaillement. Le manque de cadre est flagrant. Romans a une entrevue avec les responsables de Bellegarde, il remet à Dubuisson une certaine somme pour parer au plus pressé.

Lors du « banquet » du 14 juillet 1943 à Terment, Romans envoie Mauro Martin, Pierre Marcault Marco, les frères Roche, et Charles Faivre inspecter le camp du Gros Turc avec ordre de le rapatrier à Morez.

Pour accomplir cette mission, Jean Miguet, garagiste à Hauteville et membre de l’Armée Secrète, les conduit à la fin juillet sous un violent orage à la Combe de la Manche où ils rencontrent Henri Adhémar (J3) et Robert Dubuisson qui les conduisent au Gros Turc où se trouvent les 43 réfractaires.Ils restent peu de temps : un inspecteur de Bourg s’était infiltré dans le camp et avait disparu mystérieusement.

Le 5 aout 1943, les GMR (Groupe Mobile de Réserve : ancêtre des CRS) investissent le ferme de la Manche proche. La menace est là, pas question de résister, les réfractaires ne sont pas armés. Le lieutenant Martin, réunit les hommes de Romans et fait par de sa décision : pas question qu’il y laisse des « plumes ». Il file en Suisse où il a de la famille et abandonne ses hommes. Le camp erre dans la combe de la Manche, mais après une seconde incursion des forces de l’ordre, Pierre Marcault prend les choses en main. Guidé par Dino Robotti, socialiste italien pourchassé par Mussolini, il emmène le Camp en direction d’Hotonnes. Ils atteignent la ferme de Morez le 10 aout 1943. Marcault est nommé par Romans chef de camp, secondé par les sections de Charles Faivre, de Julien et Marius Roche, de Grelounaud. Tardy est chargé du ravitaillement.

Les fermes de Morez, les Combetttes, des Deschapoux, de Pré-Carré, des Bergonnes forment le Camp Retord, commandé par Pierre Marcault “Marco”.

L’A.S. de Bellegarde se trouva dégagée de cette charge. 

Activités des Maquisards en liaison avec L’A.S. de Bellegarde

Sabotage de  au dépôt de Bellegarde, le 12 janvier 1944 (FRANCIS HERIN):« Depuis quelques jours un ordre nous a été transmis de faire sauter toutes les locomotives et la plaque tournante du dépôt de Bellegarde afin d’éviter un terrifiant bombardement aérien qui aurait coûté la vie à beaucoup de Bellegardiens.
Le 12 janvier 44, 10 gars du maquis de MOREZ à Hotonnes sont rassemblés au camp, après avoir été entraînés sur place à utiliser des explosifs et se mettre en mémoire les installations du dépôt de locomotives, grâce à un plan fourni par le « PERE CARROZ » le papa d’un des nôtres. Nous embarquons dans la « maquisette », voiture transformée en camionnette qui est notre véhicule à tout faire. Debout, nous effectuons le voyage sans encombre. Nous sommes puissamment armés et bourrés d’explosifs. En passant par Artemare et Culoz pour éviter les cols impraticables à cause de la neige, nous arrivons à Bellegarde à 2 heures du matin. Nous sommes attentifs pour atteindre le dépôt où nous pénétrons par la rue du Dépôt. Nous débarquons silencieusement car nous avons entouré nos mauvaises godasses de chiffons afin d’atténuer le bruit des pas.

Il y a là :

GRELOUNAUD Roger         Chef du camp et du détachement (lieutenant Roger)

CARROZ Georges              Précité

CHEVALLIER Jean             Cheminot bellegardien

NIOGRET                          Dit Yon Yon, Bellegardien

CLEMENT André               Bellegardien

ORSET Henri                    Bellegardien

2 Russes                          Eléments du camp de Morez

1 dénommé « Le Tunisien » et moi-même (Hérin)

Chacun se rend à la mission qui lui est assignée. L’important c’est de faire le plus de dégâts possible aux locomotives et à la plaque tournante utilisée par les Allemands.

Après avoir neutralisé quelques garde-voies français (voir dans le lexique) nous sommes obligés de les brutaliser pour donner plus de vraisemblance au récit qu’ils devront débiter aux enquêteurs ou aux Allemands.

L’un des nôtres reconnaît parmi les garde-voies le père ZANOTTI. Je me dirige vers les bureaux de la statistique, poste de protection que je dois assurer avec un russe d’une taille impressionnante. J’ai beaucoup de peine à l’empêcher de tirer sur la sentinelle allemande armée qui fait les cent pas sans nous voir devant l’hôtel Terminus, la Kommandantur. Le reste de la troupe place les charges de plastic, ce qui se déroule assez rapidement et silencieusement, gage du succès de la mission.

Regroupement à la camionnette quelques 20 minutes après non sans avoir écrasé les crayons détonateurs, prévus pour un laps de temps assez court, entre 1/4 d’heure et 1/2 heure pour nous permettre d’avoir un peu d’avance sur nos poursuivants éventuels. Hélas la camionnette, arrivée place Gambetta, refuse d’aller plus loin. Il a donc fallu la pousser en passant devant la gendarmerie (ancienne) puis la rue Joseph Bertola où elle a bien voulu repartir ; un peu d’angoisse dans le groupe car si les charges de plastic explosent nous sommes encore loin de notre base. Enfin, lorsque nous sommes en vue des dernières maisons d’Arlod, de grosses déflagrations nous confirment que nous avons réussi notre mission. Il ne nous reste plus qu’à être vigilants pour rejoindre notre camp de Morez toujours en passant par Culoz et Artemare. Quelle satisfaction pour nous « Terroristes » de savoir que Bellegarde vient d’échapper à un effroyable bombardement aérien, il n’y aura pas beaucoup de représailles « sans doute quelqu’un a-t-il plaidé en faveur de la population. A Savoir ! Ouf ! Tant mieux ! »

Un autre sabotage de locomotives et de la plaque tournante eut lieu en mai 1944 à Bellegarde, exécuté par le groupe FRANCOIS avec l’aide des garde-voies qui, ce jour là, pour cette circonstance seront tous des membres de l’A.S.

Le 28 mai 1944 dans la nuit de Pentecôte, un 3è sabotage eut lieu à la gare de Bellegarde, détruisant de nouveau 12 locomotives, la plaque tournante et les aiguillages. TONY raconte :
« J’ai été chargé de la gare de Bellegarde. Après une reconnaissance des lieux nous avons préparé 100 charges de « plastic » équipées d’un « crayon » détonateur, choisi pour un retard de 30 minutes. Les tâches furent réparties de la façon suivante: le groupe « BASANE » est placé en protection à St Germain de Joux, le groupe « GARRIVIER» et le groupe « TALON » à la gare avec moi. Les gardes-voies se sont laissé boucler sans problème. Il nous a fallu une heure pour placer les charges, puis casser l’ampoule d’acide des crayons pour déclencher le retard. Au cours du repli, une sentinelle allemande a tiré, atteignant mortellement le maquisard « ERASME ». Ce sera notre seule perte. (ERASME s’appelait Aimé GENOUD, âgé de 24 ans, son père était mécanicien SNCF à Toulon) ». 

L’Opération allemande “Caporal”

Les troupes allemandes sont engagées dans une vaste opération qui vise à anéantir les Camps de Maquis du Groupement Sud du Lt Chabot (Montréal). Certaines des troupes engagées étaient stationnée à Bellegarde. Elle devait ratisser les pentes de la Michaille et le Retord. Il n’y avait plus de camp important dans ce secteur mais la troupe incendia tout de même la ferme des COTES et celle de la CHAUDAVIE au-dessus de Vouvray. L’opération, exécutée par une colonne allemande renforcée de « Mongols » était dirigée par un milicien de St-Rambert, André BOURNEAUD….Une rafle dans les rues de Bellegarde amena 50 personnes environ dans la salle des fêtes de l’hôtel de ville où elles furent gardées toute la journée sous la menace d’un fusil mitrailleur. On remarquait la présence en ville de « Gueule tordue », membre du P.P.F. et gestapiste toujours en chasse sous la protection de la Wehrmacht. Dans la salle des fêtes, des prisonniers, Riquet VAZETTE et Thonin LACROIX, réussissaient à se glisser sur une terrasse de l’arrière cour et, à s’enfuir par l’église avec l’aide de BARBIER demeuré dehors. Le soir, tous les autres étaient relâchés sans plus d’explications.

Par contre à Génissiat, ce fût une catastrophe. Le 12 février 1944 après-midi le pays fût cerné, toutes les maisons fouillées. Trois ouvriers d’origine étrangère qui n’avaient pas compris l’ordre hurlé de s’arrêter sont abattus. Tous les hommes furent rassemblés sur la place. Chargés dans des camions, 47 d’entre eux partaient pour la déportation, peu reviendront.

M. JEANTET, maire de Bellegarde, dont le fils est maquisard et qui aidait beaucoup l’A.S. grâce à ses attaches professionnelles avec le milieu montagnard, était recherché activement. Contrôlé près de Trébillet, il fut relâché par inadvertance par un soldat peu futé. Saisissant cette chance il rejoignit Montanges où il avait de la famille, sous l’apparence d’un cultivateur. Mais là encore le danger persistait. Il partit de nuit dans la montagne pour rejoindre un groupe d’habitants et de maquisards à la ferme de LACOMBERT, marchant dans une épaisse couche de neige fraîche. Il était bientôt épuisé et immobilisé dans la neige. Heureusement deux hommes, dont Félix DUCRET d’Echazeau, se dirigeaient vers Montanges, allant chercher du ravitaillement pour tout ce monde. Il sera sauvé ainsi de justesse. Pendant ce temps sa scierie de Trébillet était incendiée ainsi que sa maison à Bellegarde. Les pompiers de la ville ont dû, sous la menace des armes, se contenter de protéger les maisons voisines. M. CHANEL, directeur du cours complémentaire, dénoncé comme membre du Front National, fut arrêté dans son bureau de directeur d’école. Par Mathausen et Auschwitz il connaîtra un long calvaire. Ce tristement célèbre Auschwitz sera la fin du voyage pour les quatre membres de la famille JOUKOWITSKI dont deux enfants, juifs réfugiés à Bellegarde. Dans la montagne, conformément aux ordres, les camps combattent pour se dégager puis éclatent et se déplacent. Traqués dans la neige par une troupe dix fois plus nombreuse et parfaitement équipée, ils connaîtront le froid, la faim et l’épuisement.

Une fois l’orage passé les camps se regroupèrent, se réorganisèrent très vite. De nouveaux coups de main permirent de reconstituer les stocks, l’armement s’améliore, les effectifs ont augmenté. Les Allemands sont bien renseignés. Ils savent tout cela. D’ailleurs leur offensive de février avait visé plus particulièrement les camps du groupement Sud. Ils vont recommencer et porter l’essentiel de leur effort sur les camps du groupement Nord. 

L’affaire de la ferme des Lades (8 mars 44)

Il y avait un an que la résistance s’était sérieusement organisée à Génissiat et à Seyssel, sous l’impulsion d’un homme hardi et vigoureux, BOVAGNE, aidé par quelques responsables locaux. De nombreux coups de main avaient été préparés et avaient réussi: destructions, sabotages, ravitaillement du maquis.

Après la répression allemande de février 44, BOVAGNE rejoignit le maquis, car il avait été inquiété. Nommé chef d’un groupe franc, il tomba avec ce groupe dans une embuscade près de Ruffieux, où sept gars du maquis trouvèrent la mort. BOVAGNE y échappa par miracle.

Le 8 mars 44, BOVAGNE, rescapé du combat de Ruffieux en février, toujours sur la brèche, se trouve à la tête d’un groupe dépendant du lieutenant De VANSSAY (Minet) dont la mission était de transférer des armes de Savoie dans l’Ain par-dessus le Rhône à l’aide d’un câble. L’opération avait lieu entre Bellegarde et Génissiat près de la ferme des LADES, à l’endroit où les gorges du Rhône sont particulièrement étroites et profondes. Un essai des armes nouvelles fait à cette occasion dans le tunnel du chemin de fer de Malpertuis met en alerte une équipe de poseurs qui avertit les gares de Génissiat et de Bellegarde. Un hasard malheureux voulut qu’à ce moment un train transportant parait-il des ingénieurs et scientifiques allemands venus visiter le chantier du barrage entrât en gare de Génissiat. Aussitôt, une vaste opération de ratissage est organisée.

Les différentes brigades de gendarmerie sont alertées, ainsi que la feldgendarmerie de La Cluse. Les gendarmes de Génissiat partent en patrouille et, pour avertir les maquisards du danger, tirent quelques coups de feu bien avant leur arrivée sur les lieux. Avec ses camarades, BOVAGNE se hâte de mettre les armements en sécurité.

Dès l’alerte donnée, une partie des gendarmes de Bellegarde, sous la conduite de l’adjudant SARRAT et du maréchal des logis GRIVES, arrivés les premiers et bien avant les Allemands sur les lieux, ouvrent le feu sur deux gars du maquis, après sommation. ASSADA est blessé à la jambe et, avec son camarade, va se cacher dans les broussailles, au-dessus du ravin.

A ce moment précis, trois autres résistants, ignorants du drame qui se joue, sont interceptés à cet endroit par les gendarmes, alors qu’ils se rendent en mission à Génissiat. Leurs papiers (faux) sont en règle et ils sont relâchés avec le conseil de changer de route pour éviter les Allemands. C’étaient BOGHOSSIAN, chef de groupe au maquis, BAIL son adjoint, et un de leurs hommes, COLLET de Nantua.

Par la suite les gendarmes en question déclarèrent avoir été contraints par les Allemands de partir en patrouille, mais avoir tiré en l’air, très au-dessus des hommes. Dont acte.

Les soldats allemands, les feldgendarmes de La Cluse, les G.M.R. et les gendarmes battent le secteur. Après avoir épuisé leurs munitions, les maquisards tentent de se réfugier dans la gorge où ils sont attaqués, à la grenade. Un seul réussira à s’enfuir mais repris aussitôt il sera déporté. BOVAGNE était mort en brave à la tête de ses hommes. Pour faire la bonne mesure les Allemands pillent puis incendient la ferme MERAL.

Pendant l’échauffourée, trois travailleurs algériens qui se rendaient à leur travail à Génissiat, sont arrêtés et torturés à mort par les Allemands.

Les gendarmes de Seyssel, arrivés en début d’après-midi à Beaumont, descendent à Malpertuis, traversent l’étroite passerelle formée de troncs d’arbres jetés au-dessus du défilé, remontent à Beaumont où ils annoncent que deux hommes sont tués dans le ravin. Il s’agissait de Roger GROS et de Louis DECONFIN, de la commune de St-Germain-sur-Rhône, qui étaient descendus vers le fleuve pour récupérer du bois.

Bilan : 14 morts dont 8 maquisards. François BOVAGNE, René VULLIN, Roger FORAZ (57 ans), Roger DUCRET, Léon PETIT, Victorio SANCHEZ, Lido CASALI, Roger LECONTE. Trois Algériens qui se rendaient à leur travail sont arrêtés et torturés à mort : Mohamed Ben AHMED, Tahar BELKACEM, Tayel DJELLIL.

L’ Opération allemande “Printemps”. 8 au 17 avril 1944

En avril 1944, une nouvelle opération vise les Camps du Maquis du Groupement Nord de Noël Perrotto dans les massifs du Haut-Bugey, au dessus de la RN 84 et ceux du Haut-Jura.

“A Bellegarde, comme en février, les troupes de la Wehrmacht sont accompagnées d’un groupe de Français portant l’uniforme allemand, commandé par Francis ANDRE, plus connu sous le nom de « GUEULE TORDUE »*. Ce sont les membres du P.P.F., spécialisés dans les basses besognes, assassins patentés opérant sous la protection des troupes allemandes. Une nouvelle rafle a lieu et les malheureux sont parqués dans le hall de la mairie. POLLONI, MAILLET, Michel DELAPRISON et COUTIN peuvent s’enfuir en sautant par une fenêtre. Heureusement il n’y aura pas encore cette fois de déportation massive à Bellegarde. Mais l’équipe de « GUEULE TORDUE »* procède à l’arrestation de Marius PINARD. On sait que PINARD, instituteur et militant socialiste, a été déplacé par Vichy. Cette situation ne lui permet pas d’exercer de responsabilités de commandement à l’A.S. de Bellegarde. Il est en vacances chez son ami BATON. Les tueurs sont bien renseignés et savent où le prendre. Il est enfermé à l’école maternelle avec tous les raflés amenés d’Oyonnax et St-Claude. On retrouvera son corps criblé de balles dans le Rhône quelques semaines plus tard. Il avait été abattu dans la nuit puis jeté dans la Perte-du-Rhône où, d’ordinaire, les corps disparaissent à jamais. Pour une fois, le fleuve rendit le corps qui fut identifié formellement par Monsieur DURRAFOURG, chausseur à Bellegarde, qui fabriquait pour Marius Pinard des chaussures sur mesure. De toute évidence, c’était l’assassinat politique d’un homme promis à un bel avenir dans ce domaine.

BAILLY, garagiste à Chatillon-de-Michaille, chef de l’A.S. de Chatillon est arrêté et déporté. Il survivra et rentrera du camp de Buchenwald. Mais le docteur MALET aura bien du mal à rétablir sa santé.
Une fois encore les maquis de l’Ain, appliquant strictement la stratégie de guérilla voulue par ROMANS, sortiront de l’épreuve, marqués, endeuillés mais toujours opérationnels. Le débarquement de Normandie est proche ; ils seront prêts.
Nous avons intitulé ce récit « l’affaire des Lades » et non pas « combat des Lades ». En effet, rien n’est clair dans ce drame. Une telle concentration de renforts aussi rapidement réunis et aussi importante a paru suspecte à cette époque. Les nombreux résistants qui travaillaient sur le chantier du barrage de Génissiat tout proche ont eu le sentiment que tout cela était trop bien orchestré pour être le fruit du hasard. La couverture de sécurité exceptionnelle probablement mise en place pour ces visiteurs allemands a-t’elle joué de façon inattendue, y a-t’il eu indiscrétion, trahison ? Nous ne le saurons jamais.

Rafles et arrestations injustifiées

Dans le cours des récits précédents on a déjà eu l’occasion de voir que les allemands n’hésitaient pas pour remplir les camps, à rafler des français complètement innocents de toute action résistante. Le cas des 4 sportifs bellegardiens est significatif à cet égard. Au début de l’année 44, pendant l’hiver, c’est-à-dire pendant la saison de cross-country, 4 jeunes athlètes bellegardiens partent à Lyon pour disputer un championnat. Ils sont parfaitement en règle et sont porteurs de leur licence sportive nécessaire pour la compétition. Dans la petite voiture conduite par M. CADET, il y a GIORGIO, PILLOUD, TRIQUET et FONTERET. Interceptés par les allemands à St-Martin-du-Fresne, ils sont arrêtés puis déportés malgré les démarches entreprises par leur dirigeant M. JACQUET. CADET et GIORGIO ne reviendront pas et parmi les rescapés TRIQUET rentrera à Bellegarde dans un état de maigreur effrayant. Ce même dimanche l’équipe de rugby qui s’était rendue à Bourg dans un camion de la maison VIANNAY pour disputer un match fut arrêtée également mais relâchée le jour même.

 

La veille du débarquement, 6 juin 1944

Structure de l’A.S du secteur Cristal 4

Chef du secteur : FENESTRAZ Edmond Capitaine F.F.l. (Forces Françaises de l’Intérieur)
1ère compagnie : Groupe Rampon, Groupe Grubin, Groupe Berger, Groupe Dhierens, Groupe Gericht, Groupe Creveau, Groupe François, Groupe Zambonini.
2e compagnie : Groupe Barbier, Groupe Delettraz, Groupe Bouvrat, Groupe Moyat.
Puis, après le 15 juin 1944, La Compagnie d’instruction: MATHIS,Compagnie d’intendance : De FREMONT (Roy) et DUBUISSON.

Les combats de juin 44:

Le mardi 6 juin 1944, les alliés débarquent sur les côtes de Normandie. La veille les ordres de déclenchement des différents plan vert, violet…. sont bien passés à la B.B.C..
Le chef du secteur C4 : Edmond FENESTRAZ (GALIN de son nom de guerre) reçoit l’ordre suivant : « A partir de ce soir 22 heures, les forces de l’A.S. devront passer à l’action. Toutes les destructions prévues au plan vert devront être exécutées : coupures des routes, des voies ferrées, des lignes téléphoniques et télégraphiques, attaque des postes allemands isolés, arrestation des éléments suspects, occupation du territoire conquis”.

Aussitôt les liaisons partent. L’A.S. de Chanay gardera le pont de la Dorche ; celle de Génissiat tiendra le barrage, la voie ferrée et le col de Richemont, Billiat, Vouvray et Chatillon verrouilleront les routes de la Michaille. La résistance de Bellegarde barrera les routes de Genève et de la Savoie et occupera la poste et la gare.

Pour Bellegarde, les hommes doivent se réunir à la Poudrière. Ces mouvements ne manquent pas d’éveiller l’attention des Allemands qui préviennent la gendarmerie.
A la Poudrière, les volontaires sont armés. Hélas ! beaucoup d’appelés, peu d’élus. Les armes manquent: 4 FM, 6 carabines, 20 fusils, 40 mitraillettes et une douzaine de revolvers de tous calibres pour 150 hommes.
La nuit est venue. Les groupes gagnent leurs positions. Les douaniers en armes, conduits par le lieutenant SANSON, vont se mettre à la disposition du chef FENESTRAZ. On récupère les armes des gardes-voies. Un agent de liaison est envoyé à la gendarmerie. Mais il faut toute l’insistance de MONVAL pour décider les gendarmes à rejoindre les forces de la Résistance.
Grâce à un câble téléphonique de secours qui n’était pas connu de la résistance et une liaison radio, la garnison allemande de Bellegarde réussit à prévenir la kommandantur d’Annemasse ou de Gex qui envoit deux camions de soldats en renfort.

C’est à Vanchy que se produira le premier choc. Selon le témoignage de Francis DESSAYMOZ, le groupe chargé de défendre la route au dessus du pont du Nambin est mis en difficulté faute d’un armement efficace. Les deux frères ZANARELLI et CHAPPAZ meurent en combattant tandis que Joseph VIVIAND et Arthur SOGNO seront blessés. VIVIANT pourra être évacué à Cherbois et soigné par Mme SERNAGLIA. Arthur SOGNO, blessé à un pied, est capturé par les Allemands. Fait exceptionnel, il ne sera pas abattu mais déporté au camp du STRUTHOF puis à ALLACH en tant que N.N. (matricule 24039). Il reviendra.

Le combat continue dans la nuit qui s’achève. A 4 heures du matin, les Allemands reçoivent des renforts qui tentent de progresser par-dessus le tunnel du Credo.

Les Allemands assiégés dans leur cantonnement de l’hôtel des Touristes tirent quelques coups de feu mais sont rapidement calmés par deux grenades Gammont lancées depuis la gare par CHEVALLIER, pendant qu’ACCIARI les arrose au FM depuis le jardinet du buffet de la gare.

A 6 heures, une soixantaine d’Allemands débouche du tunnel du Credo. Une équipe de poseurs qui déboulonnaient la voie sous la protection de trois mitraillettes se replie. Mais ROUX, l’un des poseurs, est tué. Plus tard et pour éviter le renouvellement de cette infiltration, le tunnel du Credo sera obstrué par une rame de wagons qu’on y fera dérailler. Lentement, en tiraillant, les Allemands s’infiltrent dans la ville. Devant leur supériorité en armement, les forces de la résistance se retirent en bon ordre espérant également éviter des représailles sur la population non combattante.

Le 8 juin à l’aube, un autre renfort allemand venant de Seyssel se heurte au groupe GRUBIN-GUERITCH qui défend le pont de la Dorche. Les Allemands se retirent après une journée de vif engagement mais GUERITCH et PORTIER ont trouvé la mort.

Pendant ce temps, les groupes se reforment et se rassemblent aux environs de la ville de Bellegarde sans être poursuivis. Toute la journée des patrouilles circulent, des coups de feu isolés claquent. Pour l’instant les civils ne sont pas inquiétés. La garnison allemande renforce ses retranchements de l’hôtel Terminus. Puis, dans la nuit du 9 au 10, elle quitte soudainement la ville, craignant sans doute une contre-attaque.

Samedi 10 juin, un jour nouveau se lève et les habitants n’osent en croire leurs yeux et leurs oreilles. A midi, deux camions de résistants font leur entrée dans la ville, conduits par MONVAL. Le colonel ROMANS-PETIT, chef militaire départemental, arrive dans la soirée et la population massée devant le monument aux morts applaudit son allocution. Le P.C. s’installe à l’Hôtel de Ville et M. BATON, l’un des dirigeants civils de la résistance bellegardienne, prend la tête du comité de libération, c’est-à-dire devient le Maire d’un Conseil Municipal provisoire qui prend la place de la délégation spéciale mis en place par le gouvernement de Vichy pendant l’occupation.

Les chefs de trentaine EON et BARBIER occupent le Fort-l’Ecluse vers 17 heures. Eon commande le fort supérieur, Barbier le fort inférieur. Le groupe FRANCOIS verrouille la vallée de la Valserine sous le col de la Faucille.

Le secteur Cristal 4 est devenu un réduit montagnard que les Allemands, réorganisés après leurs premiers insuccès, vont s’acharner à reconquérir car la situation géographique de la ville, carrefour routier et ferré, est déterminante.

La contre-attaque contre le Fort-l’Ecluse le dimanche 11 juin est repoussée malgré l’arrivée en renfort, du côté allemand, d’un groupe de miliciens et les tirs des canons installés sur le Vuache. On a cité alors l’efficacité exceptionnelle de RUGGERI et AMAR, tireurs aux F.M. et bazookas. Le sous-lieutenant de réserve Louis JACQUET, accompagné de CATIN et ABBIATI, vient assister les cadres de l’A.S.. En même temps les allemands attaquent depuis la Savoie. Le groupe CHARLES et quelques hommes de l’A. S. de Bellegarde contre-attaquent et occupent Eloise dans la nuit. Victor BRIQUE de l’A.S. de la Semine et 2 civils sont tués. Mais le lendemain, lundi 12 juin, protégés par le brouillard et un tir d’artillerie, les Allemands réussissent à contourner le fort par la voie du chemin de fer et déferlent sur Longeray qui est mis à sac. Les maquisards n’ont plus de munitions, ni de vivres depuis la veille.

Le Fort-l’Ecluse contourné, sa défense devient inutile, il faut l’évacuer. Cela se fera par le fort supérieur et la montagne jusqu’au Sorgia.

Un agent de liaison envoyé à Bellegarde pour demander des munitions est pris pour un imposteur et jeté en prison. Il faudra l’arrivée de ses camarades, inquiets de son absence, pour qu’on le relâche. Toujours les problèmes de liaison qu’on a du mal à comprendre à l’ère des téléphones portables.

Les Allemands occupent Longeray où ils se livrent au pillage est abattent trois personnes. Le camp JO, monté en renfort devant le Fort l’Ecluse, subira un assaut sévère en avant de Longeray, laissant quatre morts et cinq prisonniers. Plusieurs blessés sont évacués sur Bellegarde.

Le lendemain mardi 13 juin, les combats font rage sur les pentes du Credo. Les camps TONY, PAULY et MICHEL des maquis du Haut-Jura sont venus en renfort. Les pertes sont importantes, dont le lieutenant PAULY. L’A.S. de Bellegarde, toujours sous le commandement de JACQUET, se porte en barrage à Grésin mais est contournée par le Credo. De retour à Bellegarde, après un repli difficile, le groupe se reforme et prend position à Bellevue avec pour mission de tenir pour permettre l’évacuation de la ville. Le groupe ROLAND est installé au-dessus de Ballon, à « La Forêt » et son P.C. est au café URPIN à Ballon. Le soir, il lui faudra se replier. Fait exceptionnel, on signale que quelques maquisards ont été faits prisonniers mais envoyés en déportation au lieu d’être abattus comme c’était l’usage.

Le plateau de la Semine sera à son tour le théâtre d’événements qui intéressent Bellegarde au premier chef. Le 13 juin, la menace se précise, venant de Haute Savoie :

L’A.S. d’Eloise, placée à l’articulation entre les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie, devait faire face à une situation dangereuse car elle était partie prenante dans les actions organisées par la résistance de Haute-Savoie et devait aussi participer à la protection de Bellegarde et du défilé de Fort-l’Ecluse. Malheureusement, les Allemands n’étaient pas seuls en cause. En effet, le corps de gendarmerie de St-Julien-en-Genevois, commandé par le capitaine SOCIE, participait activement à la lutte anti-résistance. C’est ainsi que le 13 juin, le capitaine SOCIE, à la tête de deux voitures de gendarmerie, réussit à arrêter deux maquisards. Il est pris en chasse puis bloqué devant un barrage de l’A.S. de Frangy. Les deux prisonniers sont délivrés mais le gendarme STEITGER, membre de la résistance à l’insu de son chef, est malheureusement tué.

Le lendemain 14 juin, l’A.S. d’Eloise, compagnie des « Sans Pardon » affrontait cette fois les Allemands. Prévenus qu’une colonne allemande de 5 véhicules montait en direction de Bellegarde, venant du pont Carnot en contournant le Vuache, les résistants avaient reçu pour mission de protéger Bellegarde. Huit hommes seulement, armés de 2 FM, s’embusquent près de la Croisée des routes . Surpris par un feu intense, les cinq véhicules sont bloqués. Les victimes semblent nombreuses chez l’ennemi qui ne parvient pas à se dégager. Mais ce que les maquisards ne savent pas, c’est que ce groupe n’est que l’avant-garde et que, hors de portée de vue, vingt autres véhicules sont arrêtés dont les occupants vont effectuer par Eloise et Clarafond un mouvement tournant pour surprendre les maquisards par derrière. Une circonstance fortuite les sauvera. Le canon de leur fusil-mitrailleur, échauffé par l’intensité du tir, est hors d’usage. Il faut le changer mais le canon de rechange s’enraye aussitôt. Privés d’arme automatique, les résistants décident de se retirer. Ils réussissent un repli difficile en direction de Bellegarde en utilisant le fossé de la route, juste assez tôt pour échapper, sans le savoir, à l’encerclement. La situation devient délicate pour les « sans pardon », Louis DUCENTI, Gaston NINET et Camille TOMASI furent tués.

Un habitant de la région, requis par les Allemands pour accueillir les blessés dans sa maison et les soigner, affirme que, pour emmener leurs morts, ils durent utiliser deux camions mais avaient dissimulé les corps sous des branchages.

Alors, le Lieutenant MONTREAL, depuis Bellegarde, envoie le camp CHARLES pour soutenir l’A.S. d’Eloise. Pendant la journée du 14, une rude bataille se développe sur le plateau de la Semine. Les maquisards résistent toute la journée mais perdent deux hommes et comptent une vingtaine de blessés. Les Allemands son déchaînés. Ils incendient trois maisons et assassinent quatre personnes : Joseph DUPRAZ, ZANARDI père et fils et Madame PERRIER ; Ils ont mis en batterie une pièce d’artillerie. Une ferme, touchée par un obus incendiaire est en flammes. Un nouveau renfort arrive de Bellegarde. C’est le camp JO qui vient au combat malgré les pertes qu’il a subies devant le Fort-l’Ecluse. La situation est devenue intenable et le retrait sur Bellegarde est décidé.

Les combattants repassent le pont provisoire sur le Rhône en fin d’après-midi et incendient le tablier afin de gêner une éventuelle poursuite des Allemands. Là, le colonel ROMANS en personne les accueille et les félicite pour leur courageuse défense.

La colonne allemande se retirait et le soir même le pont provisoire près de la papeterie à Bellegarde était détruit par l’A. S. par mesure de sécurité. Il semblerait que cette colonne allemande à vocation répressive, composée d’éléments cosmopolites, soit celle dont les exactions ensanglantèrent le Haut-Jura à la fin du mois d’Août.

A Bellegarde, toute résistance est devenue inutile. La supériorité du nombre et de l’armement ont eu raison du courage des maquisards. Bellegarde est de nouveau occupée. Les Allemands fouillent les maisons et pillent. Une rafle regroupe sur la place Carnot un grand nombre de Bellegardiens pris en otages. On peut craindre le pire. Heureusement, il n’y aura pas de représailles massives. On se demande encore pourquoi, car, dans des circonstances semblables, d’autres villes ont payé chèrement leur attitude résistante.

« Faut-il y voir, dit le Colonel Romand dans son livre « les obstinés », le résultat de l’affiche que nous avions fait apposer dans toute la ville une heure avant notre départ. Nous y laissions supposer d’une part que la population nous faisait grise mine et d’autre part nous adressions à nos ennemis un avertissement. D’ailleurs, le voici :

“Habitants,

Les mesures que nous avons prises ont toujours été supportées par vous calmement et nous espérions arriver à vous convaincre que nous servions vos intérêts.

Depuis quatre jours, nous avons repoussé toutes les attaques, mais aujourd’hui je donne l’ordre de repli sur les hauteurs environnantes.

Restez dignes.

Et dites-vous bien que si l’ennemi méprisait les lois de la guerre, usait de représailles à votre égard, nous fusillerons immédiatement les prisonniers allemands que nous détenons.

Mais je veux croire que notre attitude sera comprise.

Nous, nous continuons la lutte pour vous libérer, libérer la France. »

Le 14 juin 1944,

Romans, chef départemental FFI de l’AIN “.

Dans un autre de ses ouvrages, le colonel Romans évoque la possibilité d’une intervention du Consul de Suisse auprès de la Wehrmacht. Il est de fait que le consul avait obtenu que les maisons habitées ou possédées par des citoyens suisses soient désignées à la troupe allemande par des panonceaux afin que les biens et les ressortissants suisses soient épargnés en cas de répression violente et massive.

De nouveau maîtresses de Bellegarde, les troupes d’occupation instaurent le système de terreur qui devait leur assurer, croient-elles, la neutralité de la population. Le couvre-feu est établi de 20heures à 6 heures du matin. C’est-à-dire qu’on tire à vue, sans sommation, sur toute personne circulant dans la rue pendant cette tranche horaire. Les MAIRES de Bellegarde, Arlod et Coupy sont mis en demeure de placarder dans toute l’agglomération l’affiche suivante : (en attente)

Témoignage de M. AGOSTINETTO sur la rafle du 14 juin 1944

« Voilà comment j’ai vu et vécu les moments de la rafle du 14 juin 1944:
Dans la matinée, des contingents de soldats allemands ont pris possession de Bellegarde et les arrestations ont commencé. Au début de l’après-midi, deux soldats allemands sont entrés dans mon appartement et ont fouillé les lieux ; dans un placard, ils ont trouvé deux paquets de tabac qu’ils se sont appropriés tout en étant très corrects. Ils m’ont emmené et je me suis trouvé sur la place Carnot, derrière le monument aux morts où déjà se trouvait un important rassemblement qui ne cessait d’augmenter. La place, creusée de tranchées qui devaient être utilisées en cas de bombardement, était cernée par un important cordon de soldats armés de fusils mitrailleurs ; de temps en temps ils poussaient un hurlement contre des habitants de Bellegarde massés sur les trottoirs, ou contre nous. Au pied d’un platane était assis notre ami Baton, très malade, responsable du parti socialiste, donc dangereux à fréquenter (Pinard ayant été assassiné auparavant). Seul son ami Léon Lyasse lui tenait compagnie. En fin d’après-midi on nous a fait entrer dans la cour de l’école des garçons. Les bruits courraient que nous allions être chargés dans des wagons. La cour était pleine ; pour la nuit, nous avons été mis dans les classes. Dans la matinée suivante et à midi, nous avons eu une distribution de nourriture dans le hall d’entrée. Pas de surveillance sauf une sentinelle qui se tenait à la sortie sur le perron. ARCIER, qui apporte le ravitaillement, me fait un signe et avec lui je prends un des côtés de l’emballage vide et me dirige vers la sortie. Mais la personne « charitable» qui dirigeait l’opération de ravitaillement me fait remarquer que je ne suis pas à ma place et me prie de retourner d’où je venais. Ce qui a empêché notre embarquement, c’est que toutes les voies qui entourent Bellegarde étaient coupées. Enfin, dans l’après-midi, nous avons été libérés, après que les Allemands eurent établi un état de tous les prisonniers au fur et à mesure de notre sortie. Une liste fut ensuite faite d’une vingtaine de personnes devant être fusillées si le maquis revenait à Bellegarde. J’ai eu entre les mains une copie de cette liste ; j’y figurais ainsi que les personnes sorties en même temps que moi. Les Allemands y avaient ajouté le chef de la gare de Bellegarde et le directeur du cinéma ».

Témoignage de Camille ROMAND, habitant de Vanchy. (Résumé d’un enregistrement sur cassette)

“J’avais 11 ans. Mes parents tenaient à Vanchy un café-épicerie. Les combats faisaient rage sur le Crédo, lorsque les allemands sont arrivés dans le village. C’était le 13 ou le 14 juin 1944. Ma mère était en train de soigner un voisin blessé au bras par balle. Aussitôt mon père est placé devant un peloton pour être fusillé. Ma mère intervient, mais en vain. Au moment où le feu va être ordonné un officier arrive et dit : « Pillez mais ne tuez pas. » Les soldats allemands se mettent à piller l’épicerie, éventrent le tiroir caisse. A ce moment un maquisard d’un groupe de renfort d’Oyonnax est capturé dans la rue et abattu à coups de crosse. Jusqu’au soir ce seront des cris et le pillage dans le village. Mon père est mis dans l’obligation, sur ordre d’un officier, de distribuer des boissons non alcoolisées. Mais les soldats voulaient du vin. L’un d’entre eux, pour en avoir, finit par menacer mon père en lui mettant le canon d’un revolver dans la bouche. Certains le mélangeaient avec l’alcool à brûler. Les officiers exigèrent ensuite qu’on leur serve un repas. Etant dans l’impossibilité de leur servir le champagne qu’ils demandaient, mon père fut “passé à tabac ». Le lendemain d’autres soldats arrivent. Ce sont des « cosaques » qui vont se livrer à tous les excès : pillage, saccage, viol. L’épicerie et la maison sont tellement saccagées que nous devons nous réfugier chez la voisine où se trouve notre jeune employée en larmes car elle a été violée. On va l’habiller en vieille femme pour que cela ne se reproduise pas. Un soldat entre et exige un repas, et annonce qu’il tuera le père, la mère et le plus grand des enfants (le narrateur) le lendemain matin à 4 h. Il nous enferme dans une pièce et s’installe devant. Comme il finit par s’endormir nous en profitons pour quitter la pièce et nous cacher chez une voisine. A 4 h, le soldat réveillé, se met à notre recherche mais doit s’en aller car les officiers sifflent le rassemblement et rembarquent leurs troupes dans les camions. Sauvés ! » Cosaques : les soldats allemands que la population appelait « cosaques » étaient probablement des asiatiques des confins de la Russie en Asie Centrale, membres de l’armée russe, faits prisonniers par les Allemands et incorporés à la Wehrmacht dans l’unité commandée par le général félon « VLASSOV ». Etres très frustes, capable de la plus atroce cruauté, les Allemands les utilisaient comme troupes de représailles.

Le martyre de Marthe PERRIN

Pendant ces combats un drame s’était noué à La Pierre. Les allemands recherchaient activement PERRIN, connu en tant que communiste et militant du Front National. Le 9 (ou 10) juin ils croient le capturer chez lui mais il a le temps de s’échapper et de se cacher chez un voisin. Furieux les allemands arrêtent sa femme, Marthe PERRIN, alors qu’elle est malade, alitée. Tous les voisins sont alignés contre le mur, devant le domicile des PERRIN, menacés de fusillade, mais aucun ne parlera.

Seul GORIO sera arrêté puis relâché. Marthe PERRIN est alors emmenée à Annemasse, à la Kommandantur installée au grand hôtel« Pax ». Elle restera emprisonnée près d’un mois avant d’être fusillée le 8 juillet à Ville-la-Grand en même temps que 5 autres personnes dont la jeune Marianne COHN qui était coupable de sauver des enfants juifs en leur faisant passer la frontière suisse. L’exécution avait eu lieu dans un bois près de la frontière. Les suisses avaient entendu le creusement de la fosse et la fusillade. Ainsi on put retrouver le charnier et constater que Marthe PERRIN avait été affreusement torturée avant d’être exécutée.

Comment fut embouteillé le tunnel du Crédo:
« Bellegarde, 20 juin 1944 – On donne de nouvelles précisions sur l’embouteillage complet du tunnel du Crédo, qui, comme on le sait, est long de 3 km. 965 mètres, et est creusé sous le Fort-l’Ecluse entre Coupy et Longeray. Les partisans formèrent à Bellegarde une rame de 65 wagons, dont un certain nombre appartenaient aux C.F.F., et ils attelèrent une machine à l’avant, et une à l’arrière.
Le train fut conduit dans le tunnel où l’on fit dérailler les deux locomotives et des wagons. Puis, une troisième locomotive, lancée de Bellegarde, s’engouffra dans le tunnel et vint s’écraser contre la locomotive de queue couchée en travers du ballast. Il faudra des semaines pour dégager l’amas de ferraille qui obstrue le Crédo. »

Les maquisards se replient sur la montagne :

Le regroupement et la réorganisation des unités de la résistance s’effectuent alors au Poizat et sur les hauteurs de la Michaille. Le groupe RAMPON (A.S. de la Michaille) s’installe aux Charmettes, près de la route du col de Richemont, et celui de Génissiat à Planvanel. La lutte n’est pas terminée, le débarquement piétine et la résistance jouera encore un rôle déterminant dans le déroulement de l’ensemble des combats libérateurs. La ville de Bellegarde a été reprise mais les maquisards contrôlent toutes les hauteurs du Retord, du Haut et Bas-Bugey et du Jura-Sud et on peut dire que si la région vit maintenant dans un calme relatif, elle est cependant scindée en deux zones.

Les Allemands ne s’aventurent guère hors de la ville tandis que les maquisards multiplient les coups de main pour se nourrir, se vêtir, améliorer l’armement, parfaire la destruction des voies de communications.

Vers la fin juin, afin de prévenir une nouvelle offensive prévisible de l’occupant, le commando de « ZAMBO » est chargé de détruire le pont routier de la Dorche et la voie ferrée. Il le fera sous la protection du groupe RAMPON. Le pont du chemin de fer de Pyrimont saute à son tour tandis que les maquisards du groupement Sud détruisent le viaduc de Cize Bolozon. Le réduit montagnard du département de l’Ain paraît ainsi bien protégé. Il faut noter que les destructions des ouvrages du chemin de fer, en interrompant complètement le trafic ferroviaire, ont probablement évité les rafles massives pour la déportation comme on en avait connu à St-Claude, Oyonnax et Nantua lors des combats de février et Pâques 44.

Les hommes qui se sont retirés de Bellegarde (A.S. et autres), se retrouvent au Poizat et vont constituer la Compagnie du Poizat ce qui va poser de gros problèmes de ravitaillement. Aucun parachutage n’arrivant, ces hommes seront insuffisamment armés. Cette compagnie va se déplacer : Grange du Poizat, Belleydoux, Montanges (construction de barrages antichars) puis retour au Poizat. La restructuration se poursuit: constitution d’états (état-civil, adresse, situation de famille, … la paperasserie reprend ses droits). Fin juin, trois plénipotentiaires bellegardiens envoyés par les Allemands arrivent au Poizat dont M. PIERREGROSSE chef de gare. Ils font part des propositions ennemies : affiches dans Bellegarde demandant aux hommes de reprendre leur place dans les usines, aucune sanction ne sera exercée. M. PIERREGROSSE vu son comportement de résistant, repart, les deux autres restent en résidence surveillée.

LES COMBATS DE JUILLET 44 (opération Trettenfeld)

Structure militaire départementale- juillet 44

P.C. départemental :

– Chef militaire des maquis et de l’Armée Secrète : Lieutenant-colonel ROMANS PETIT

– Adjoint : Lieutenant MAXIME

Groupement Nord : Capitaine MONTREAL (Noël PERROTOT)

– Maquis du Haut-Jura avec CHEVASSUS et les camps CYRUS, DATY, PAULY, TONY

– Groupe Franc PESCE, Groupe Franc WERNER, camps CHARLES, ROLAND, JO, MICHEL, JACQUET, ANTOINE, ETIENNE.

– Secteur C4 : A.S. Bellegarde avec FENESTRAZ

– Secteur C5 : A.S. Nantua avec STEISS

– Secteur C6 : A.S. Oyonnax avec CURTY

Après les difficiles combats du début juin, une accalmie s’installe. Le haut-Bugey et sa capitale Nantua sont aux mains des résistants. Le colonel ROMANS déclare le rétablissement de la République et l’installation de ses instances à la Sous-préfecture de Nantua.

Le samedi 8 juillet, les Allemands pénètrent dans Seyssel d’où ils repartent en direction de Bellegarde le lundi 10 juillet après avoir reçu des renforts. Embourbés au passage de la Dorche, ils réquisitionnent tous les hommes de Chanay pour se dégager, non sans avoir au passage incendié deux maisons et torturé à mort M. ANTHELME.C’est sur la Dorche que le gros accrochage aura lieu avec la participation du groupe FTP ZAMBONINI-GRANDCHAMP, de trois gendarmes de Génissiat, deux hommes du camp de PLAN VANEL et le groupe franc de Chaix. Dès 5 heures 30, le premier camion allemand est stoppé par le F.M. et le combat continuera jusqu’en début de soirée à Bériat où les combattants décrocheront en direction de Craz. Le jeune MICHAUD de Bériat est martyrisé puis fusillé.

Mardi matin 11 juillet, la colonne atteint Bellegarde en évitant la route de la Michaille que le maquis contrôle.
A 10 heures la bataille se déclenche entre Chatillon et Trébillet, au tunnel de la Crotte.Les Allemands emploient les grands moyens : artillerie, mitrailleuses lourdes, avions d’observation, prise d’otages mais la configuration du site favorise les maquisards. En effet, l’étroitesse de la vallée en général et du goulet de la Crotte où la voie ferrée et la route se chevauchent, constituent un obstacle difficile à franchir, qu’une mine judicieusement placée par MUSY permet de boucher en provoquant un éboulement de rochers. C’est DREYER qui, vers 16 heures, réussit à allumer la mine au passage d’un convoi important. Des hommes, des véhicules et des mulets sont écrasés, d’autres se réfugient dans le tunnel. Embusqués sur les deux versants de la vallée, les maquisards tiennent le passage sous un feu nourri malgré la riposte des armes lourdes allemandes.
Déjà GUICHARDAN, ancien de 14-18, puis les jeunes PERAZZI et DUVERT sont pris et fusillés près d’Ardon. La bataille, car ce n’est plus un combat mais une véritable bataille durera deux jours pendant lesquels les groupes BERTHET, MUSY, RENDU, DADU, SARDI, CURTIS et RAMPON vont bloquer sur place 1 500 soldats allemands, plusieurs canons autoportés, un car, des mitrailleuses, des mortiers. Le premier jour, mercredi 12 juillet, le jeune JULIEN, 17 ans, est tué, PERNOD, ROUSSET, LUGAND et CURTIS sont blessés. Le soir, le groupe CURTIS se replie à Giron puis à Belleydoux. Il est remplacé par le groupe RAMPON, venu de Saint Martin du Frêne. RAMPON prend position en face du tunnel, sur la rive gauche de la Semine, bien placé pour ouvrir le feu avec ses deux fusils mitrailleurs récupérés auprès de CURTIS. Malgré les tirs de mitrailleuse lourde allemande et le feu nourri d’artillerie, le groupe peut tenir la position sans pertes.
Afin d’atteindre les Allemands réfugiés dans le tunnel, l’A.S. de Saint-Germain envoie sur la voie en déclivité un wagon fou dans les tampons sont chargés d’explosifs. Il sautera dans le tunnel, faisant de nombreuses victimes et d’importants dégâts.
Furieux d’être immobilisés sous un feu continuel, les Allemands rassemblent toute la population de Chatillon, femmes et enfants compris, la dispose en une colonne qu’ils conduisent sur la route jusqu’à la Crotte en se mettant à l’abri derrière elle pour récupérer leurs blessés, leur matériel et détruire le barrage de l’éboulement. Quelle fut la stupeur des maquisards de RAMPON en voyant déboucher du tournant de la Félicité cet étrange cortège. D’un seul coup, toutes les armes se turent ; un grand silence envahit la vallée, troublé seulement par les pleurs des bébés, les cris de leurs mères, les vociférations des Allemands conduisant le groupe.
Passé le premier moment de stupeur, le feu maquisard reprit bientôt, dirigé plus haut sur les positions allemandes de la Félicité et la Lulaine afin de ne pas mettre en danger les civils.

Mais déjà, la partie était perdue car les troupes allemandes avaient percé à Cerdon et Thoirette et arrivaient à Nantua pour faire la jonction à Trébillet. M. BOUVIER, chef de gare de Charix et membre de la résistance, avait réussi à avertir son collègue de St-Germain-de-Joux de l’avance allemande au-delà de Nantua. Il permit ainsi au commandement de prendre toutes mesures pour éviter aux combattants l’encerclement à Trébillet. Mais son coup de téléphone fut intercepté on ne sait comment. Il avait ainsi signé son arrêt de mort et fut fusillé dès l’arrivée des Allemands à Charix. A Trébillet, la maison BARBIER est incendiée, FAVRE et PIDOUX capturés et abattus. Mme MATHIEU est abattue par un officier et son corps jeté sur la voie ferrée. Il semble qu’elle devait établir une liaison avec un groupe de maquisards. Son frère, LANEL, parti à sa recherche, est capturé et abattu à son tour près de la Semine. En fin d’après-midi, les Allemands arrivent de Nantua pour faire jonction avec ceux de Trébillet. Le lieutenant MAXIME donne alors l’ordre de repli.

Les consignes du colonel ROMANS sont impératives : après avoir décroché, il faut disparaître, renoncer à la tentation d’attaquer un groupe isolé d’ennemis isolé, ou de tirer sur un avion qui passe à portée de F.M., en un mot, faire croire que la résistance intérieure est complètement détruite. L’avenir montrera combien ces ordres étaient sages et efficaces.

Mais il est trop tard pour MONVAL et CESSOT, les deux policiers résistants de Bellegarde. En effet, surpris par la rapidité de l’avance allemande depuis Cerdon, mais voulant à tout prix récupérer leurs dossiers à Nantua, ils se sont précipités en voiture, conduits par Jean BUET de St-Germain-de-Joux. Trop tard, la mort les attendait tous les trois au village des Neyrolles où une mitrailleuse allemande était déjà installée sur la route en poste avancé.

Certains groupes se replient sur Catray puis passeront en Haute-Savoie, d’autres remontent sur Giron d’où ils gagneront le crêt de Chalam, dernier refuge, d’autres encore s’égayent sur le Retord.

Voyons ce qu’il advint alors de la Compagnie du Poizat, selon le récit d’un de ses membres :

« Aux lueurs du matin du 12, l’ordre d’évacuer le Poizat arrive. Il est même question de faire sauter le tunnel routier Poizat-Les Neyrolles. Ce ne sera pas fait.
Avant d’évacuer, il faut mettre de l’ordre: ranger les cantonnements, faire disparaître les traces de notre passage. Les notes et états sont brûlés dans la chaudière des douches. La mairie héritera de papier vierge et d’une machine à écrire.
Un groupe d’une douzaine d’hommes parmi lesquels FADA le cordonnier dont la surdité faillit être fatale au groupe et d’autres, font confiance au sergent PRANDINI du P.C. « qui a fait la guerre et doit savoir manœuvrer » « NOLLY » qui assume le rôle de procureur à Nantua se joint au groupe. La première nuit se passe au-dessus des Gallanchons, retour sur le Poizat. « Nolly », de son vrai nom Netter, avocat à Belfort, remplissant les fonctions de commissaire du gouvernement, nous quitte. Pas d’Allemands, nous partons sur la falaise alors qu’un détachement ennemi descend sur la route entre Lalleyriat et le Poizat (il est 16 h 30). Après son passage nous continuons notre progression vers la falaise. Un avion de reconnaissance ennemi passe sur le coin. Nous n’avons rien à boire et à manger. Une deuxième nuit à la belle étoile au-dessus du Poizat puis reconnaissance à la ferme du Chaix d’en haut où Pernod, le fermier, nous donne du lait et nous apprend que la patrouille allemande est redescendue depuis 20 minutes environ. Nous la suivons à distance respectueuse en prenant toutes nos précautions. Nous arrivons sans encombre à Ochiaz où nous retrouvons des gars qui ont déjà rejoint leur chez eux et poussent un « ouf » de soulagement en apprenant que tous les états compromettants ont été détruits. Là, le groupe éclate, la plupart des hommes se transforment en braves travailleurs de la terre. C’était le 14 juillet. »

Malheureusement d’autres groupes n’ont pas eu cette chance. Traversant la montagne depuis St-Martin-du-Fresne en direction du Retord qu’ils connaissent mieux pour s’y installer, un groupe de six bellegardiens est surpris et détruit entièrement à la combe Ramboz le 13 juillet. C’étaient Louis TOCCO, Jean BENOIT, Bruno BAMBOZZI, Emile VORLET, Lucien BOUVRAT et Georges PILLARD.

Autre drame à Vouvray le 16 juillet. Sur la route de Chatillon à Vouvray, une colonne allemande se déplace à pied. Elle investit bientôt le village. André Blanc qui venait de convoyer avec succès un groupe en retraite sur le plateau de Retord est capturé de justesse devant sa maison. Bientôt Aimé SAGE, COMPIANI et GUDIN sont arrêtés à leur tour. Après les habituelles scènes de pillage, les maisons BLANC, SAGE et BRUNET sont incendiées par la troupe : Adrien BRUNET, caché dans une haie près de chez lui, échappe à la capture mais assiste impuissant à la destruction de la maison familiale.

Quand la troupe allemande se retire, elle emmène les quatre prisonniers enchaînés à l’un des chars portant son butin, jusqu’à Seyssel, où ils seront martyrisés puis fusillés le lendemain sous le mur du cimetière. Les autres jeunes gens du village, membres du groupe RAMPON, manifestement identifiés et recherchés, étaient dans la montagne, de retour du Crêt de Chalam, et arrivèrent le soir même à Vouvray pour apprendre le drame. Cachés dans la grotte de la Combe de Vaud, ils échapperont le lendemain à une nouvelle opération allemande.

Le 16 juillet encore, la mort frappe à Menthières. Après avoir combattu à Trébillet les 11 et 12 juillet, le groupe SARDI s’est replié au-dessus de Giron au lieu-dit « les cinq chalets». Les difficultés de ravitaillement inhérentes à la dispersion dans les forêts et la nécessité d’éviter les concentrations d’effectifs, conduisent une partie du groupe à quitter ce secteur pour se rendre sur le massif du Crêt d’Eau qu’ils connaissent bien, étant tous originaires de Confort. Après avoir traversé la Valserine à Chézery, le groupe remonte à Menthières, hameau isolé, apparemment tranquille, et s’arrêtent devant une maison amie, la ferme CARRY d’en bas. Mais les Allemands étaient déjà installés de l’autre côté de la combe sur le chemin des Moraines, bien placés pour un tir efficace. Surpris par le tir des armes automatiques, quatre hommes sont tués (MARQUET Gabriel, MARQUET André, MOINE André et Henri POCHET), tandis que MARQUET Denis et THEVENIN, bien que blessés, peuvent se mettre à l’abri. Gilbert PORTIER atteint lui aussi par les tirs de mitrailleuse ne devra la vie sauve qu’à la présence dans son sac à dos d’un objet métallique, probablement une gourde ou un quart. Denis MARQUET, gravement blessé au poumon, reste caché toute la journée à quelques mètres des Allemands. En fin d’après-midi il sera récupéré par sa sœur Juliette (Mme ACCIARI et le maire de Confort Robert NEYROUD et ramené chez lui à Confort dans une charrette. Heureusement il survivra à ses blessures.

Quant au groupe Rendu, après avoir combattu sans pertes au-dessus du tunnel de la Crotte, il se replie en Catray. Puis, sur ordre d’ OLRY, il passe en Haute-Savoie par la dangereuse passerelle de Génissiat pour être chargé dans des camions et conduit au-dessus de la Balme de Sillingy, dans un secteur plus calme, à Epagny.

Cependant, le 30 juillet, averti que quatre maquisards sont encerclés dans Epagny pour avoir voulu y arrêter deux collaborateurs, le groupe descend pour les secourir. Mais c’était un piège et il est attendu par une forte unité de la milice commandée par son chef départemental le docteur DESPLANCHES. Trompé par les vêtements de l’un des maquisards qui pouvaient passer pour être un uniforme de G.M.R., DESPLANCHES se découvre et se présente . Il est aussitôt abattu en même temps que se déclenche un combat long et violent. Avant de pouvoir se retirer à grand peine, le groupe perdra PERRIN et BENY tués et TOUQUET, ARRABA et RAMET blessés et capturés. Heureusement, les trois blessés seront récupérés par le maquis savoyard lors d’un coup de main dans les locaux de la Milice.

Le rapport du chef de l’A.S. de St-Germain évoque ces événements et la participation de son groupe. Extraits du rapport de M. HANRIOUD, commandant l’A.S. de St-Germain :

Au général commandant la subdivision de l’Ain en date du 8 août 45 :

« Au début du mois d’août, 46 volontaires de St-Germain et Plagne vont se grouper à Viry (Jura) avec ceux de Nantua, Tacon, Montanges, Echallon, Belleydoux et Combe du Val. Des compagnies y sont formées et l’instruction poursuivie activement.

Le 15 août, notre A.S. constitue une partie de la réserve des effectifs engagés dans la poursuite des Allemands se repliant le long de la frontière suisse dans le Haut-Jura.

Le 20, elle revient occuper Collonges menacé au Sud par des éléments ennemis opérant en Haute-Savoie.

Le 1er septembre, cette section part en renfort au Fort des Rousses. 600 Allemands sont cernés dans Morez avec des SS qui viennent de continuer leurs crimes dans la région.

95 Allemands armés de mitrailleuses dont 4 officiers sont ainsi capturés par une vingtaine à peine de gars de St-Germain… A savoir également que l’A.S. de St-Germain-Plagne n’a eu qu’un tué et un blessé soigné au maquis ». En même temps, postés sur les hauteurs du Revermont, de nombreux Bellegardiens, sous le commandement de SARDI, s’apprêtent à participer à la libération de Bourg-en-Bresse. Les unités allemandes qui refluent de Provence par la vallée du Rhône passent nécessairement par là, d’où une concentration de moyens importants y compris l’aviation, pour garder libre l’axe Lyon-Bourg-Lons-le-Saunier. Le choc le plus important aura lieu à Meximieux-La Valbonne où la 9ème division Panzer SS lancera le 1er septembre une offensive brutale et massive contre les premiers éléments américains déjà arrivés et le bataillon CLIN du groupement Sud des maquis de l’Ain. Quelques Bellegardiens dans la compagnie F.U.J. participeront à cette bataille. Ce sont Jean MARINET, Roger GUETTET et André HOTTELET. Ce dernier, frère de Louis HOTTELET tué à Champfromier, sera blessé et évacué à l’hôpital américain de Rives. Marcel TOURNIER sera tué à Dagneux au cours d’une mission de reconnaissance. Son frère Charles, capturé en juillet à Ardon, mourra en déportation.

Pour le département de l’Ain et le secteur Cristal 4, tout était fini.

Mais la guerre continue sur le front des Alpes et d’Alsace. Les unités combattantes de l’A.S. et des maquis vont s’incorporer à l’armée régulière et un grand nombre de Belle gardiens contracteront un engagement en bonne et due forme et lutteront encore pendant une année sur le front des Alpes. Les mauvaises conditions d’équipement vaudront à quelques-uns des mutilations par gelure et Charles ALLEGI de Coupy y trouvera la mort.

Ainsi vécut Bellegarde durant pendant ces 4 années d’Occupation…