Le 6 février à 11 heures du matin, nous étions tous à l’intérieur de la ferme Marchal, lorsque notre sentinelle est entré en criant : “Les Boches !!!…” presque en même temps que le tir d’un fusil mitrailleur était dirigé sur les portes et les fenêtres. Nous avons eu juste le temps de prendre nos armes et de fuir sous les balles qui sifflaient de tous côtés et comme notre groupe de 30 environ logeait dans l’écurie en contrebas et donnant sur un jardin aboutissant sur un sentier qui montait dans les bois, nous avons pu nous mettre hors de portée. Je crois me souvenir qu’il n’y a pas eu de blessé. Mais nous avions perdu nos vêtements chauds, nos affaires personnelles et notre ravitaillement, y compris un veau entier, tué, écorché, prêt à cuire et que nous conservions gelé par le froid. Cela a été un rude coup de se retrouver sans rien. Une vingtaine de maquisards et c’est Georges Tosi, le plus ancien qui a pris, en l’absence de Nicole, le commandement. Il y avait son beau-frère Lisolas, Chochotte (Servoz), Pierrot, notre groupe polonais et les autres dont je ne me rappelle pas les noms.
Le sentier nous avait nous conduit vers des cavités rocheuses dissimulées par des buis qui surplombaient une route que nous pensions dangereuse pour nous. Nous sommes restés là jusqu’au soir. Nous avions faim et froid. Dans l’obscurité, nous reprenions le sentier qui nous éloignait de la ferme et nous avons abouti derrière un château dont je n’ai jamais su le nom.
Dans la cour il y avait plusieurs chevaux et nous remarquions une petite lumière derrière une fenêtre sous les combles.
C’est Tosi qui a appelé, lancé des boules de neige pour nous signaler.
Finalement la porte d’entrée s’est ouverte et deux jeunes filles sont apparues. Elles ont parlementé avec Tosi et nous ont apporté un panier de pommes et un pain avec la permission de passer la nuit dans la grande à foin.
C’est là que Chochotte ayant enlevé ses chaussures, a eu les pieds gelés pendant la nuit (je l’ai retrouvé le 26 février à l’hôpital d’Ambérieu).
Les Allemands étant tout près, nous sommes repartis le lendemain nous cacher dans les grottes. La faim et le froid nous ont ramenés au château. Les jeunes filles avaient téléphoné à leur père qui élevait des moutons dans une bergerie en haut de la montagne. Il nous attendait. Nous sommes donc partis avec de la neige jusqu’aux genoux dans la direction indiquée. Nous avons rencontré deux skieurs qui nous attendaient et nous ont conduit à la bergerie.
Le propriétaire nous a reçus cordialement, nous a hébergés quelques jours dans une pièce vide avec de la paille et un poêle pour nous chauffer et cuire la nourriture qu’il nous donnait au mieux de ses possibilités et en refusant tout paiement.
Nous étions là sans nouvelle mais protégés dans notre refuge par une très épaisse couche de neige.
A ce moment-là, je commençais à comprendre et à parler un peu le français, mais j’espérais tellement pouvoir retourner un jour dans mon pays natal que je ne faisais pas trop d’effort pour l’apprendre. C’est pour cette raison que nous nous groupions toujours entre Polonais pour parler notre langue maternelle.
Je crois sans certitude, que c’est Verduraz qui est venu nous chercher dans cette bergerie, mais je me souviens que le 9 mars nous avons rejoint Nicole et un groupe de jeunes Yougoslaves, nouveaux venus, dans une ferme d’où nous avons été chassés : la ferme étant brûlée, ainsi que le P.C. qui se trouvait dans un moulin au bord d’une route.
Cette bataille contre les Allemands a été très dure et nous avons eu des pertes… Notre Colonel a été légèrement blessé à la main.
Après ce coup dur, nous nous sommes réfugiés dans un bois sous la pluie. Plus tard, je suis retourné avec un groupe de camarades vers la ferme brûlée et nous avons retrouvé dans une remise des conserves, que nous avions enterrées en réserve.
Par la suite, c’est le village de Douvres qui nous a ravitaillés en pain et pommes de terre, que les habitants avaient cachés dans une charrette couverte de foin. Afin de nous abriter de la pluie, nous avons reçu également une bâche de camion.
De là nous avons pu faire quelques sorties d’embuscades ainsi que des sabotages sur la voie ferrée. Dans ce refuge, nous avons reçu aussi des armes et des munitions.
Le 26 mars, un camarade de maquis, Henri TENAND, a emmené un petit groupe de blessés et de malades dont je faisais partie, pour nous cacher dans la ferme de ses parents jusqu’à la nuit. Ensuite, il nous a conduit à la clinique d’ Ambérieu où on a soigné ma jambe, qui s’était envenimée après les onze éclats que j’avais enlevé avec un couteau.
Et c’est là aussi que j’ai retrouvé Chochotte, qui avait été amputé de ses deux orteils à la suite de ses pieds gelés.
Après les soins reçus, nous avons rejoint notre camp en passant par la ferme de notre camarade Henri, où nous avons dormi.