A Bourg juin 1944
Le 5 juin au matin, jour du Bac, un groupe franc des FUJ de Lalande se prépare à attaquer la Trésorerie Générale. Mais dénoncée par un lycéen proche de la Milice, l’attaque échoue quand le groupe de F.U.J est attaqué rue Teynière par des hommes de la Milice qui engage une vive fusillade. Deux résistants blessés sont capturés, les autres s’enfuient. La Milice compte elle aussi deux blessés. À 16 heures 15, Dagostini, à la tête d’un parti de miliciens, investi le Lycée Lalande alors en pleine épreuve du Bac aux cries de : “nous vengerons Voiron”. Alors qu’ils investissent la cour d’honneur du Lycée, par le passage de la rue du Lycée, les professeurs et les candidats se dirigent, curieux, vers la porte. 42 élèves, 13 personnes du corps professoral ou administratif sont emmenées. 9 élèves seront déportés.
Le 6 juin, une des plus grosses opérations de la Milice commence à Bourg. Simultanément, l’ordre de mobilisation milicienne est lancée. Seuls les plus convaincus rejoignent Bourg avec leurs femmes, leurs maîtresses et leurs enfants, afin de les protéger d’éventuelles représailles dues à leurs actions à venir. Dès 5 heures 30 du matin, tous les miliciens sont réunis aux mêmes endroits, la ville est coupée de l’extérieur, plus de téléphone et établissement de barrages sur les routes conduisant à Bourg. Les premières arrestations ont lieu à Bourg par des hommes en civils et armés de pistolets-mitrailleurs. En quelques heures, près de 50 à 60 personnes sont raflés dans leurs appartements par des miliciens accompagnés de policiers. Suivant les prérogatives accordées le 25 mars 1944 sur les réquisitions touchant la Franc Garde, à 12 heures, plusieurs chefs miliciens se rendent à l’hôtel de l’Europe afin de le réquisitionner. La Milice donne deux heures aux occupants pour quitter les lieux. Lorsque des personnes leur demandent s’ils ont un ordre du préfet, ces derniers répondent : “le préfet on s’en fout “. La ville de Bourg est en état de guerre. C’est dans cet hôtel que sont regroupées les personnes raflées. Au salon du rez de chaussé de l’hôtel de France, Dagostini, assis au bureau, mène les interrogatoires tandis que plusieurs miliciens frappent et torturent : coups de poings, coups de pieds au visage et à l’estomac, coups de ceinturon, coups de crosses, coups de nerfs de bœuf, claques et humiliations. Ce traitement dure toute la journée du 6. Les miliciens cherchent des renseignements sur la résistance, noms des hommes, responsables des actions et dépôts d’armes. Dagostini, entouré d’une vingtaine de miliciens, fait preuve de barbarisme : en conduisant l’interrogatoire de Denise Piller il dit à ses hommes de mains “tapez jusqu’à ce qu’elle pisse”. Parmi les tortionnaires, qui se sont faits la main en Haute-Savoie, outre les hommes de Dagostini qui viennent de Lyon, se trouvent plusieurs burgiens dont le chef de service de la Milice de l’Ain et un des chefs de cohorte adjoint.
Pendant ce temps, un affrontement oppose à Bourg, rue Gustave Doré puis à Péronnas, des éléments du maquis F.U.J.P. à des unités allemandes et des miliciens. Un jeune F.F.I., Robert Bouveyron est capturé et un stock d’ armes est saisie. Le jeune homme est aussi tôt conduit à l’hôtel de l’Europe où il décède. Les détenus sont enfermés dans les caves de l’hôtel de l’Europe, au fenêtres préalablement murées, où ils couchent à même le sol. Certains sont enfermés dans des chambres de l’hôtel.
Le soir vers les 20 heures, certaines personnes sont relâchées, les autres dont 3 femmes sont emmenées dans les caves de l’hôtel de France. Le lendemain, les détenus sont transférés de nouveau à l’hôtel de l’Europe alors que certains (dont Noël Guérillot) sont transférés à Lyon, destination l’Allemagne. À l’hôtel de l’Europe, les tortures et les humiliations recommencent pour les vivants comme pour les morts. Pour certains elles recommencent plusieurs fois. Le mal est si intense que certains détenus souhaitent tomber inconscients ou mourir afin d’échapper aux coups. Ce cycle infernal dure, pour certain, près de 20 jours. Plusieurs personnes décèdent des coups ou d’une balle dont Robert Venet, livré à la Milice, le 9 juin, par la Feldgendarmerie [1]. Engagés dans une guerre sans merci, les miliciens lyonnais n’ont même pas l’honneur des armes pour leurs victimes décédés. Ainsi, le 11 juin, Dagostini et le commandant de place de Lyon Callet, sabrent le champagne au dessus du corps torturé et défenestré de Balsollier, à côté d’un détenu amené de Lyon, Henri Satre. Seul un jeune milicien de 17 ans « a eu une attitude correcte, il s’est mis au garde à vous en disant : « c’est tout de même un mort » [2].
Le 10 juin, les R.G. de Bourg annoncent au préfet de l’Ain que la présence de la Milice à Bourg à empêcher “une brusque invasion des groupes de résistants” [3] suite à l’annonce du débarquement. En effet, si l’activité de la Milice durant ces jours vise et atteint des objectifs précis du maquis, elle ne les démoralise pas pour autant. En effet, les hommes du réseau Pimento dont le chef, Jag est à Bourg, continue de correspondre avec ses hommes et Théodore. Dans le Bugey, les actions du Maquis s’intensifient .
1 Outre Bouveyron, les fils Perret et Venet sont morts durant cette période. La mort de ce dernier est d’un cynique dépassant toute humanisme. “J’ai entendu un milicien dire à un de ses camarades, en parlant de Venet : “Nous lui avons dit qu’il était libre, puis nous l’avons descendu quand il a eu passé la porte. . .le corps de Venet, qui avait été laissé en travers de la porte de la salle à manger depuis le soir 23 h” (Témoignage de Pierre Denizot, A.D.AIN180W612) n’a été enlevé qu’à 10 heures du matin le lendemain.
2 Témoignage de Louis Henri Satre, 4 décembre 1945. A.D. Ain 180W.
3 Rapport des R.G. de Bourg, 10 Juin 1944. A.D.AIN180W106.