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Témoignage P. Jeanjacquot- Camp de Triage

Extraits des “vagabonds de l’Honneur” de Pierre Jeanjacquot. Témoignage sur le camp de Triage

“Il fallait absolument grouper les arrivants (au Maquis ), les étudier, les observer, puis, après, les répartir suivant les besoins. La question était d’importance vitale, aussi le principe suivant avait été adopté dès août 1943 : créer un centre de triage pour les volontaires, leur imposer un stage d’observation, au cours duquel tous les renseignements possibles seraient recueillis à leur sujet, tant par interrogatoires multiples que par recoupements divers, et, dans les cas douteux, par enquêtes auprès du responsable de la Résistance dans la Commune de l’intéressé. D’une manière discrète, leurs mouvements, leurs paroles seraient épiés, leurs réactions enregistrées. Ils prendraient contact de façon brutale avec le Maquis et, ainsi éprouvés, partiraient vers de nouvelles affectations.

L’expérience montra que cette organisation permit d’éliminer pour une large part le Service de Renseignements ennemi désorienté par ce système.

Si cette méthode laissait passer des agents au travers de son crible, ceux-ci, malgré leur force et leur ténacité, n’obtinrent que de maigres résultats et généralement se firent prendre à leur piège, à l’exception de Cobra, qui avait réussi à passer entre les mailles du filet.

Arrêté, condamné, il fut fusillé en Juillet 1944. C’est probablement à lui qu’incombe la plus grosse responsabilité des opérations de BRENOD en Février 44).

C’est alors que jouait la filière : un volontaire désirait-il rejoindre le Maquis, il entrait en contact avec un militant renseigné sur les possibilités, lequel généralement l’envoyait à une seconde personne et ainsi de suite.

La filière présentait un triple avantage. – D’abord, les gars de l’extérieur, qu’ils fussent de BOURG, LYON ou OYONNAX, ignoraient l’emplacement du camp de rassemblement ; donc au cas où un indésirable se glissait dans la filière, il pouvait tout au plus faire arrêter les intermédiaires. La filière qui n’aboutissait pas au camp, mais à un point de chute, ne la mettait pas en danger immédiat, si elle était ” brûlée ” d’un bout à l’autre. Le point de chute découvert ne révélait qu’un secteur approximatif. Et cette éventualité perdit de son importance le jour où le Maquis devenu fort, contrôla au su de tous, la région sur laquelle il s’étendait. Enfin, les points de chute étant indépendants des camps, ceux-ci restaient plus secrètement ignorés.

Le Centre de Triage avait pris naissance en août 43 à la ferme du Mont, au nord de Nantua, en dessus de la falaise calcaire dominant la ville. Ritoux, de La Cluse, dans la mesure de ses moyens, le ravitaillait. Mais à cette époque la vie était dure dans tous les camps, et les hommes étaient nourris avec parcimonie.

Pour faire vivre la vingtaine de gars qu’il avait alors avec lui, Mystère, le responsable du Centre, se démenait dans tous les sens. Il était amusant de l’ entendre raconter plus tard ses pérégrinations par monts et par vaux et de quelle façon il emmenait à pied, à travers la montagne, jusqu’ à Charix ou Saint-Germain-de-Joux, ses hommes qu’il endurcissait par la même occasion, en les obligeant à rapporter, lui en tête, un sac de pommes de terre sur le dos. Il lui arrivait aussi de manquer de viande. Alors il se dévouait encore, et par La Cluse, Izernore et Matafelon, accompagné de Lançon, son second, il partait à bicyclette jusqu’à Granges, emprunter à Michel vingt ou vingt-cinq kilos de bœuf salé. Il se plaignait constammentet à juste raison du ravitaillement insuffisant dévolu à son unité qui faisait figure de parent pauvre.

Mais après le coup de main sur l’Intendance de Bourg, quand il toucha comme les autres sa part, il conserva un sens très poussé de l’économie qu’il perpétua jusqu’à la fin, en souvenir de la période difficile et dans la peur de plus sévères restrictions. Pendant tout le temps que le Camp de Triage stationna sur le Mont, les points de chute restèrent groupés autour de La Cluse.

Le Centre de renseignements était installé chez Ritoux, aidé plus spécialement par Roger Sigod, gérant du cinéma, avant qu’il ne devienne, un peu plus tard, agent de liaison du Groupement Nord.

L’activité était ininterrompue et son appartement rempli d’authentiques conspirateurs. Mais le plus comique était de voir Ritoux servant dans son magasin un client tout en discutant par la porte entre-baillée avec un maquisard assis à la cuisine… Cette vie dura ..(les agents de liaison venaient et repartaient dans une suite continue) jusqu’à ce que la police s’alarma. Au début du mois de novembre, arriva chez Ritoux un homme d’origine yougoslave se disant recherché par la Gestapo. La filière semblait sûre et Ritoux persuadé que l’être est bon par nature, prenant pitié de ce pauvre diable, l’avait fait conduire à Mystère aux fins d’enquête.

Malheureusement c’était l’inconnu qui enquêtait et…quelques jours après il s’échappait pour revenir bientôt en voiture, à la tête des spécialistes de la Gestapo. Par bonheur Ritoux était à Paris, sa femme restait seule avec ses deux enfants. N’ayant trouvé ni le gibier escompté ni les papiers compromettants, les nazis évacuèrent les lieux portant les marques de leur déplorable passage. L’affaire avait été rapide.

Aussitôt prévenu, le P.C. avait envoyé d’Heyriat une voiture chargée de quelques volontaires qui s’étaientdisputés les places, mais quand elle arriva à La Cluse, celle de la Gestapo avait disparu, en prévision d’une dangereuse réaction. À la suite de cette perquisition dont l’insuccès en laissait prévoir d’autres, Ritoux averti par Roger à la gare de Nurieux, rejoignit le P.C. départemental installé au camp de Granges, tandis que sa femme et ses enfants se réfugiaient à Berthiand.

Les points de chute alors désignés furent les carrières, derrière le bourg de Montréal, puis le monument aux morts de ce même pays. À 22 heures, exactement, un guide attendait les arrivants pour les conduire au centre de groupement. La gare de Nurieux, elle, restait grâce à la famille Jacquinot, un solide maillon de la filière.

Pourtant, à La Cluse, la Résistance consolidait sa position. Les Lacroix, père et fils, en étaient les zélés propagandistes et Robert, en compagnie de Lacraz.  Lacraz, alors capitaine à la Prévoté devait se tuer en automobile entre Neuville et Pont-d’Ain, en mai 1945.

Le Café de la Gare était sinon un lieu de réunion, un hôtel où tous les maquisards de passage trouvaient pension, Chevrier étant depuis longtemps un pilier du mouvement.

Ce premier noyau resta donc le soutien du Centre de Triage jusqu’au 10 février 1944, date à laquelle le lieutenant Montréal fit évacuer le Mont pour échapper à l’attaque alllemande.