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Plus d’info…. Témoignage de Alexis Cierniewski

Alexis Cierniewski Polonais compagnie Le Bugey  Alexis Cierniewski et polonais

Photo et témoignage d’ Alexis Cierniewski: un polonais au Maquis

Ce récit comporte sûrement quelques erreurs de dates et de lieux car il a été fait en partie de mémoire, mais surtout de notes prises en polonais que j’ai réunies dans un carnet pendant mon séjour à l’hôpital en septembre 1944.

Tout a commencé en 1939 dans l’École Militaire de SREM en Pologne dans la région de POZNAN, où je faisais mon apprentissage du métier que j’avais choisi, deux ans plus tôt.
Né en 1921, orphelin de père à sept ans, ma mère était restée veuve avec deux fils…
Dans cette école, j’ai donc fait six mois d’instruction militaire, puis six mois de parachutage dans un camp d’aviation près de VARSOVIE, ensuite plusieurs stages dans le Génie et la Cavalerie Montée.

J’étais en permission à KOSCIAN où je suis né, lorsque l’Allemagne envahit la Pologne le 1er septembre 1939. Retour d’urgence à la caserne de LESZNO pour rejoindre mon régiment pour le regroupement de tous les permissionnaires.
C’est à pieds que nous sommes allés avec les officiers de Commandement rejoindre les autres régiments partis avant nous en direction de VARSOVIE. 70 km la première nuit et des bombardements et combats durant les six jours, pour arriver à la capitale.
Les Allemands arrivaient derrière nous, en tenaille, venant les uns de Poméranie et les autres de Silésie et un troisième groupe arrivant par derrière.
A VARSOVIE, pas encore encerclée, nous avons retrouvé le Régiment de Cavalerie et tous les régiments, qui avaient pu rejoindre la Capitale pour la défendre en restant aux abords de cette ville… Combats sanglants… pris entre les Allemands de l’Ouest et les Russes à l’Est, comme dans un étau.
Nous sommes faits prisonniers le 17 septembre après-midi. C’est-à-dire deux jours avant la capitulation de VARSOVIE. J’avais 18 ans…

Les soldats emmenés en colonne par milliers par les Allemands, et tous ceux de l’Ecole Militaire, triés et regroupés avec enregistrement de noms, emmenés en camions la nuit pour une direction inconnue. Tous pensaient être fusillés.

– Arrêt le jour au bord d’une route avec fouilles répétées.
– Arrivée après une deuxième nuit de route, (entassés à 40 par camion) dans une usine de cimenterie inconnue. Nous pensions tous être en Allemagne.
– C’est une installation de tentes (polonaises) : une tente pour 7 et une botte de paille, qui ne fut jamais remplacée, avec pour nourriture un biscuit militaire polonais le matin, un hareng salé et deux pommes de terre à midi, et le soir une espèce de soupe. Cette nourriture était servie dans la boite de masque à gaz, où je me lavais aussi.

Dès le premier hiver, beaucoup sont morts de froid ou de malnutrition. Nous mangions même de l’herbe. Cela a duré deux ans. Tous nous sentions que nous ne terminerions pas ce troisième hiver.

Fin 1941, c’est par hasard que j’ai appris que notre camps était situé en Pologne à 32 km de chez moi, alors que je me croyais en Allemagne. C’est alors que j’ai risqué le tout pour le tout en préparant mon évasion et une nuit, j’ai sauté le mur d’enceinte malgré les deux sentinelles qui se croisaient un peu plus loin et qui ne m’ont pas entendu tomber dans le fossé. Toute la nuit, j’ai marché soutenu par la peur d’être repris et la joie de retrouver ma mère qui sans nouvelle depuis mon départ pour Varsovie me croyait mort.
Je tombais d’épuisement en arrivant et ne me rappelle plus de rien.
Le lendemain, j’étais totalement inconscient et presque moribond lorsque la Gestapo est venue me chercher.

C’est alors que la chance m’a souri, car lorsque ces trois policiers ont appris que ma mère était Allemande par son père (car la Poznanie Polonaise a été sous domination allemande pendant 130 ans jusqu’en 1918), et qu’elle parlait encore leur langue, ils m’ont laissé avec elle. Cependant, nous avons été chassé de notre appartement dans les mois qui ont suivi et le 15 avril 1943, ils sont revenus me chercher pour partir en Allemagne, incorporé à un régiment (le 471e régiment d’infanterie) où je suis resté un mois, seul Polonais sur 80 Allemands. En plus, je ne parlais pas leur langue.

Et c’est ainsi qu’un jour après un très long voyage en train et sans savoir où j’allais, je suis arrivé à Montbrison en mai 1943. Le régiment était logé dans une école qui avait été réquisitionnée.

En juin 1943, nous repartons tous pour une destination inconnue et nous arrivons à Bourg-en-Bresse où j’ai été muté dans la deuxième Compagnie où j’ai enfin trouvé une dizaine de Polonais dans la même situation que moi et c’est alors que j’ai commencé à reprendre espoir pour une deuxième évasion.
J’ai prévenu ma mère par lettre de ce que j’espèrais faire, afin qu’elle me fasse parvenir quelques papiers d’identité polonais. C’était imprudent, mais cela a réussi.

Un jour, les Polonais Léon et Joseph et un jeune Curé Polonais de ma Compagnie, qui parlais un peu le français, me proposent d’aller avec eux chez des commerçants de Bourg pour aller écouter la radio polonaise de Londres… Ce que j’ai accepté avec joie plusieurs fois.

C’est alors que le dimanche 10 octobre 1943, nous avons reçu l’ordre de faire nos paquetages, préparer nos armes et munitions de réserve pour partir la même nuit pour un front inconnu. J’ai appris plus tard que c’était la Normandie.
Nous sommes donc retournés une dernière fois (mais sans notre jeune curé consigné hélas ce jour-là) pour faire nos adieux au couple de commerçants qui nous avaient si gentiment reçu et comme nous ne parlions pas français, notre hôtesse est allée chercher un Polonais qui habitait Bourg pour traduire.
A ce Polonais, j’ai pu montrer tous mes papiers d’identité avec photographie pour prouver mon identité polonaise et lui demander ce qu’il fallait faire pour nous évader, et si quelqu’un pouvait nous aider. En entendant cela, notre hôtesse nous fit une proposition. Nous avons su par la suite qu’elle était agent de liaison dans la résistance sous le nom de Georgette.

Elle nous fixa un rendez-vous pour vingt heures devant leur magasin. Nous sommes donc retournés à la Caserne chercher nos affaires personnelles, puisque nous étions en permission de sortie jusqu’à vingt heures.
Georgette nous attendait comme convenu devant son magasin avec sa bicyclette. Elle partit devant, et nous l’avons suivie à 50 mètres environ, dans notre tenue d’uniforme allemand… Nous avons bientôt quitté la ville pour aller dans la campagne vers une direction inconnue. Nous sommes arrivés dans une ferme, où le fermier déjà prévenu par Georgette, nous attendait. Il nous conduisit dans une grange pour y passer la nuit.
A cinq heures du matin, il est revenu nous chercher pour le petit déjeuner servi dans une buanderie. Ensuite, il est monté (à notre grand étonnement) sur un banc pour soulever une partie du plafond entre deux poutres et nous faire monter dans une cachette découpée dans le foin sur trois côtés et le quatrième côté en cloison ajoutée, derrière une vigne grimpante. Ceci nous permit un jour de voir passer une Compagnie allemande devant notre refuge, ce qui nous a donné une sueur froide.
Nous sommes restés cinq à six jours pendant lesquels notre hôte nous nourrissait avec abondance et gentillesse. Il essayait de nous expliquer que nous allions partir au maquis. Mais nous ne savions pas ce que voulait dire “maquis”. Nous pensions finalement que c’était peut-être les “Partisanci”… En entendant ce mot polonais, notre hôte s’exclamait tout joyeux… Enfin, nous avions compris… Georgette nous avait dirigé pour rejoindre la Résistance française.

C’est un matin de très bonne heure que deux hommes jeunes, en camionnette bâchée, sont venus nous chercher. J’oublie de dire que pendant notre séjour nous avions arraché les aigles et les croix gammées que nous avions sur nos uniformes, ce qui nous valut du mécontentement de nos convoyeurs.
Après avoir remercié notre hôte et lui avoir remis nos livrets militaires allemands, qu’il a cachés en lieu sûr, nous sommes partis à Bourg en face de la Sous-Préfecture et nous sommes restés là, sous la bâche environ deux heures, très inquiets et anxieux dans notre uniforme allemand, alors qu’une sentinelle allemande faisait les cents pas devant la Préfecture et que nos convoyeurs étaient partis sans rien nous dire, puisque nous ne parlions pas un mot de français.
Enfin, ils reviennent. L’un deux soulève la bâche et laisse tomber une mitraillette cachée dans sa veste. J’ai pris cette mitraillette avec un soulagement impossible à décrire. Enfin, je pouvais me défendre le cas échéant.

C’est donc vers 7 heures que nous avons quitté Bourg pour arriver un peu plus tard dans un moulin où nous avons tous les cinq chargé un sac de farine, une caisse de munitions et un tonneau métallique d’essence : tout cela en présence des ouvriers du moulin, qui ont fait semblant de ne pas nous voir. Ensuite, nous sommes partis dans une petite route de montagne et en croisant un cycliste, la camionnette s’est renversée en contre-bas. Nous sommes restés tous les trois pris sous notre chargement et sérieusement contusionnés. Nos convoyeurs nous ont dégagé le plus rapidement possible, car nous entendions tout près les Allemands en exercice.
Après nous avoir caché tous les trois dans un bois avec la caisse de munitions, nos deux guides sont partis chercher du secours dans un village proche et sont revenus avec un fermier et une paire de bœufs. La camionnette remise sur ses roues, nous sommes tous repartis au village (dont j’ignore hélàs le nom) dans un café où plusieurs consommateurs ont applaudi en apprenant que nous étions trois évadés polonais.

Ensuite, nous sommes repartis dans la montagne. Arrêt de la camionnette et après avoir marché environ un kilomètre dans un sentier de chèvres, nous sommes arrivés dans une ferme où nous attendaient trois hommes, dont l’un soi-disant docteur parlait allemand, le second Gaby et un troisième inconnu. Nous sommes entrés dans une pièce dont la seule fenêtre était garnié de barreaux. Une table et un banc pour nous asseoir et un gardien qui marchait de long en large dans un silence complet et la porte fermée à clé…
A ce moment-là nous étions très inquiets et intrigués. Etions-nous tombés dans un guet-apens… ? D’autant plus que nous ne parlions ni ne comprenions un mot de français.

Après un long moment le “Docteur” est venu du dehors chercher l’un de nous – toujours dans le silence –. Une demi-heure après, il est revenu chercher le deuxième. Cela devenait angoissant. Il me semblait être pris dans un piège. J’étais le dernier et enfin on est venu me chercher avec le gardien qui nous suivait et il me fit entrer… dans une pièce bien chauffée… Joseph et Léon étaient là, mangeant tranquillement à table et ils me dirent de suite en polonais :
– “Ne t’en fais pas, c’est un contrôle”.
Ouf !!! Je me sentais mieux.

Comme mes compagnons, on me fit déshabiller complètement et pendant que le soi-disant docteur m’auscultait très longuement, le cœur, les poumons, la bouche, les yeux, etc. Gaby ou Gabriel faisait passer tous mes vêtements devant une lampe pour voir sans doute si je ne cachais pas quelque chose de suspect.
Après cela ils ont pris mon uniforme allemand et m’ont donné une tenue de camp de jeunesse. A cause de ma grandeur, le pantalon me tombait à mi-mollet… mais les bottes allemandes cachaient le tout.

Je dois dire que j’ai mangé de bon cœur ce soir là. J’étais enfin rassuré sur notre sort. Nous étions bien avec les partisans et nous sommes restés cinq jours dans cette ferme abandonnée. Nous allions chercher du ravitaillement et aussi de l’armement à Nantua, des munitions cachées dans une grotte, etc.
Nous avions reçu une carte d’identité. Je me nommais “Marcel Lemoine”. Léon GOLINSKI était devenu “Gaston Lenormand” et Joseph MROZOFSKI avait reçu le nom de “John Szofay”.

Le 25 octobre 1943, nous avons reçu un colis de sous-vêtements et de friandises envoyés par “Georgette” de Bourg et plus tard, j’ai eu l’occasion de la remercier de vive voix pour cet envoi si inattendu et apprécié.
Nous avons quitté cette ferme après avoir remercié Gabriel ainsi que la mère d’un jeune partisan, qui nous a dit au-revoir en polonais et nous a souhaité une prompte victoire sur les Allemands.

C’est le 29 octobre que nous sommes arrivés tous les trois au camp de “Verduraz” à Pré-Carré. On nous a reçu très fraternellement et un casse-croûte nous a été offert en attendant de partir pour le “camp Nicole”.
Et c’est “Nicole” lui-même, chef de camp, qui est venu nous chercher le soir très amicalement. Il nous a félicité, car il parlait “un peu” l’allemand. Il nous a emmené dans son camp où nous avons trouvé Jean JANOWSKI, qui s’était évadé de Bourg, une semaine auparavant.
Il y avait également :
– ZWENGER (Alsace) qui parlait allemand,
– Jacques THERAND qui connaissait le tchèque,
– Marcel GRIMAUD,
– SERVOZ (Chochotte)
– PARJOIE
– TOSI de Marseille et son beau-frère Paul LISOLAS,
– etc., au total une trentaine de Maquisards.

Le 2 novembre, grande fête, au maquis avec l’arrivée de notre Capitaine ROMANS-PETIT et différentes personnalités ; levée des Couleurs et ensuite un bon repas pour tous.

Le 6 novembre, j’ai participé à ma première opération. Nous sommes partis six Polonais et quatre Français et notre chef dans un camion en direction d’une petite ville (probablement Tenay) où nous avons rejoins vers 8 heures du soir d’autres groupes que je n’ai pas vus. Car mon chef m’a laissé en position avec une mitraillette et le camion sur le pont. La consigne… ne laisser passer personne. Mais le silence a été complet.

Plus tard, tous les maquisards sont revenus avec huit véhicules pris dans un garage ou dépôt. Alors nous sommes repartis dans la montagne et avons roulé jusqu’à 3 heures du matin. Nous avons passé le reste de la nuit dans une espèce de grange. Là, nous avons découvert des fromages striés de bleu à l’intérieur, et nous Polonais, avons consciencieusement enlevé tout ce bleu que nous prenions pour de la moisissure non comestible.

Le lendemain soir, notre groupe et Nicole, nous sommes partis à pieds pour rejoindre le camp Combette le 8 novembre au matin. Nous y sommes restés au repos jusqu’au 10.
Ce jour-là, Nicole, par l’intermédiaire de Jacques Thérand qui traduisait, a remis à notre groupe de six Polonais ainsi qu’à un certain nombre de Français, des vêtements prêtés par d’autres camarades ainsi que des armes.
J’ai donc reçu : blouson de cuir, pantalon à ma taille, un béret et un fusil. Tout cela avec la consigne d’être prêt le lendemain matin. Sans aucune autre explication.

C’est donc le 11 novembre que nous sommes partis en camion bâché. Nous avons retrouvé plus tard d’autres groupes équipés comme nous en descendant des camions dans le ville de OYONNAX. Nos chefs nous ont formés en cortège de défilé, par trois, drapeau en tête. Nous sommes partis au pas cadencé jusqu’au monument aux morts, acclamés de toute part par la population qui avait reconnu les maquisards. J’ai ressenti à ce moment-là une émotion, une fierté, difficile à décrire.
En défilant devant le monument aux morts où une gerbe était déposé, j’ai reconnu notre Capitaine Romans-Petit qui saluait.
Nous avons terminé notre parcours, toujours sous les applaudissements et avons rejoins nos camions (probablement ceux que nous avions pris à Tenay) pour enfin rentrer au camp. Là, nous avons eu les explications de l’exploit qui venait d’être accompli, en pleine occupation allemande.

Le 25 novembre, nous sommes partis dans la nuit en camion et vers trois heures du matin, nous avons attaqué un dépôt de ravitaillement à Bourg, à 300 mètres environ du champ d’exercices des Allemands. Nous étions plusieurs groupes. Certains avaient encerclés l’objectif ; d’autres avaient coupé les fils téléphoniques ; le Polonais Léon, mécanicien, essayait de récupérer une traction au garage ; quant à moi, Nicole m’avait posté dans un dortoir où dormait un groupe d’hommes (réveillés en sursaut) pour surveiller la porte des chefs, que je ne devais pas laisser sortir. J’avais pour seule arme une grenade “Gamma”… (Gammon ndlr)

Nicole est venu plusieurs fois inspecter pour voir si tout était normal. Nous avons été rassemblés aux environs de 5 heures du matin. Tout s’était passé dans le silence. Les camions étaient chargés de ravitaillement et même de skis. Quant à moi, j’ai fait le retour avec Léon dans la “traction” tirée par un des camions.

Le 3 décembre, nous avons reçu des armes et munitions américaines.

Le 14 décembre, Nantua était attaquée par la gestapo, qui a fait un nombre important de victimes. les obsèques ont eu lieu le 17, et nous avons été emmenés et placés en groupes sur la route qui conduit à Nantua pour interdire toute circulation.

Jusqu’à Noël, nous avons passé notre temps en patrouilles, positions et garde du camp.

Pour fêter Noël, nous sommes allés près de Pré-Carré avec Nicole et son groupe de Français dont Jacques Therand et notre groupe polonais, Léon, Joseph, Max, Jean et moi. Il y avait aussi Verduraz et son groupe. Nous avons été reçu par le Colonel Romans-Petit et une nombreuse assistance en civil autour d’une table garnie.
Le groupe Verduraz présentait une comédie jouée par ses hommes, un comique imitateur violoniste et quatre Russes, qui ne sachant aucun autre chant, ont chanté dans leur langue l’Internationale d’une voix puissante et grave et le poing levé.
Nous, Polonais, nous sommes venus plusieurs fois, pour chanter en polonais l’hymne national, un chant de Noël et un chant dédié à nos mères, composé par nous.
Ne sachant pas encore parler français et le comprenant à peine, c’est Jacques Thérand qui nous présentait à l’assistance. Tous les participants furent beaucoup applaudis. C’était une fête simple et gaie.

Les trois jours suivants ont été calmes.

Le 30 et 31 décembre, notre groupe français-polonais dirigé par Nicole est parti en camion. Nous étions armés et nous avons roulé pendant deux heures jusqu’à une route droite où nous avons mis le camion en travers. L’un de nous a grimpé sur un poteau télégraphique pour relier le téléphone portatif, afin d’appeler les G.M.R. en simulant une attaque du Maquis. Il était prévu de les attirer pour les prendre comme prisonniers et de les échanger contre les nôtres. Toutefois nous avions reçu l’ordre de ne pas tirer sauf pour se défendre le cas échéant. Nous nous étions mis dans le fossé en embuscade de chaque côté de la route. Un camion est arrivé presque aussitôt et a dû stopper devant notre camion qui barrait la route.
Nous avons bondi et l’avons encerclé pour demander à ses occupants de se rendre. Mais le fusil-mitrailleur posté sur leur camion a commencé à nous mitrailler tandis que le chauffeur faisait marche arrière de quelques mètres.
Rejoignant notre fossé, nous avons ouvert le feu à notre tour à trois ou quatre mètres de distance les uns des autres.
Et tout à coup, silence absolu. Nous avons vu alors arriver au loin les phares de plusieurs autres camions…
Devant le nombre supérieur des arrivants, nous nous sommes retirés et avons grimpé derrière nous dans la neige pour nous mettre hors de portée. C’est à ce moment là que Chochotte m’a appris que Marcel Grimaud avait été tué. Il nous a fallu plusieurs heures pour nous regrouper et nous sommes rentrés au camp très éprouvés et avec des manquants. C’est plus tard que nous avons appris que Jacques Thérand avait été blessé au genou et fait prisonnier ainsi que le fils d’un pharmacien.
Les Polonais Léon, Max et Jean sont sortis, comme moi, sains et saufs de cette aventure.

Les jours suivants ont été assez calmes à part des patrouilles.

Le 23 janvier de cette nouvelle année 1944, une partie de notre groupe a quitté le camp avec Nicole pour en préparer un nouveau dans une ferme abandonnée, qui prit le nom de “Marchal Hauteville”.

Le 29, je suis parti avec Nicole en forêt, armé comme d’habitude d’une mitraillette. Nous avons beaucoup marché et nous sommes arrivés dans une maison habitée par le Colonel Romans-Petit et sa famille. J’y ai séjourné jusqu’au lendemain et je suis reparti seul en direction de notre ancien camp où j’ai retrouvé le reste du groupe et nous sommes tous repartis pour le nouveau camp le 1er février.

Quelques jours après, j’ai été chargé de porter un message au P.C. dans une ferme isolée en montagne. J’y suis resté la nuit pour ne repartir que le matin. Il y avait beaucoup de neige. Nous étions tous allongés lorsque la sentinelle a donné l’alarme en même temps que la fusillade éclatait autour de la ferme. Nous étions encerclées…
Nous avons riposté aussitôt en tirant par les fenêtres et toutes les issues possibles. Mais lorsque les grenades incendiaires ont mis le feu à la ferme, nous avons tous ensemble forcé le barrage en mitraillant sans arrêt jusqu’au bois. A ce moment là, une grenade a explosé devant moi. Je l’ai évité de justesse et seule ma jambe a reçu onze éclats. Nous nous sommes tous dispersés en fuyant dans les bois et j’ai pu rentrer au camp Marchal que j’avais quitté la veille. Je savais qu’il y avait eu des tués et des blessés mais j’ignorais leurs noms. Je l’ai su après.

Le 6 février à 11 heures du matin, nous étions tous à l’intérieur de la ferme Marchal, lorsque notre sentinelle est entré en criant : “Les Boches !!!…” presque en même temps que le tir d’un fusil mitrailleur était dirigé sur les portes et les fenêtres. Nous avons eu juste le temps de prendre nos armes et de fuir sous les balles qui sifflaient de tous côtés et comme notre groupe de 30 environ logeait dans l’écurie en contrebas et donnant sur un jardin aboutissant sur un sentier qui montait dans les bois, nous avons pu nous mettre hors de portée. Je crois me souvenir qu’il n’y a pas eu de blessé. Mais nous avions perdu nos vêtements chauds, nos affaires personnelles et notre ravitaillement, y compris un veau entier, tué, écorché, prêt à cuire et que nous conservions gelé par le froid. Cela a été un rude coup de se retrouver sans rien. Une vingtaine de maquisards et c’est Georges Tosi, le plus ancien qui a pris, en l’absence de Nicole, le commandement. Il y avait son beau-frère Lisolas, Chochotte (Servoz), Pierrot, notre groupe polonais et les autres dont je ne me rappelle pas les noms.
Le sentier nous avait nous conduit vers des cavités rocheuses dissimulées par des buis qui surplombaient une route que nous pensions dangereuse pour nous. Nous sommes restés là jusqu’au soir. Nous avions faim et froid. Dans l’obscurité, nous reprenions le sentier qui nous éloignait de la ferme et nous avons abouti derrière un château dont je n’ai jamais su le nom.
Dans la cour il y avait plusieurs chevaux et nous remarquions une petite lumière derrière une fenêtre sous les combles.
C’est Tosi qui a appelé, lancé des boules de neige pour nous signaler.
Finalement la porte d’entrée s’est ouverte et deux jeunes filles sont apparues. Elles ont parlementé avec Tosi et nous ont apporté un panier de pommes et un pain avec la permission de passer la nuit dans la grande à foin.
C’est là que Chochotte ayant enlevé ses chaussures, a eu les pieds gelés pendant la nuit (je l’ai retrouvé le 26 février à l’hôpital d’Ambérieu).

Les Allemands étant tout près, nous sommes repartis le lendemain nous cacher dans les grottes. La faim et le froid nous ont ramenés au château. Les jeunes filles avaient téléphoné à leur père qui élevait des moutons dans une bergerie en haut de la montagne. Il nous attendait. Nous sommes donc partis avec de la neige jusqu’aux genoux dans la direction indiquée. Nous avons rencontré deux skieurs qui nous attendaient et nous ont conduit à la bergerie.

Le propriétaire nous a reçus cordialement, nous a hébergés quelques jours dans une pièce vide avec de la paille et un poêle pour nous chauffer et cuire la nourriture qu’il nous donnait au mieux de ses possibilités et en refusant tout paiement.
Nous étions là sans nouvelle mais protégés dans notre refuge par une très épaisse couche de neige.

A ce moment-là, je commençais à comprendre et à parler un peu le français, mais j’espérais tellement pouvoir retourner un jour dans mon pays natal que je ne faisais pas trop d’effort pour l’apprendre. C’est pour cette raison que nous nous groupions toujours entre Polonais pour parler notre langue maternelle.

Je crois sans certitude, que c’est Verduraz qui est venu nous chercher dans cette bergerie, mais je me souviens que le 9 mars nous avons rejoint Nicole et un groupe de jeunes Yougoslaves, nouveaux venus, dans une ferme d’où nous avons été chassés : la ferme étant brûlée, ainsi que le P.C. qui se trouvait dans un moulin au bord d’une route.
Cette bataille contre les Allemands a été très dure et nous avons eu des pertes… Notre Colonel a été légèrement blessé à la main.

Après ce coup dur, nous nous sommes réfugiés dans un bois sous la pluie. Plus tard, je suis retourné avec un groupe de camarades vers la ferme brûlée et nous avons retrouvé dans une remise des conserves, que nous avions enterrées en réserve. Par la suite, c’est le village de Douvres qui nous a ravitaillés en pain et pommes de terre, que les habitants avaient cachés dans une charrette couverte de foin. Afin de nous abriter de la pluie, nous avons reçu également une bâche de camion. De là nous avons pu faire quelques sorties d’embuscades ainsi que des sabotages sur la voie ferrée. Dans ce refuge, nous avons reçu aussi des armes et des munitions.

Le 26 mars, un camarade de maquis, Henri TENAND, a emmené un petit groupe de blessés et de malades dont je faisais partie, pour nous cacher dans la ferme de ses parents jusqu’à la nuit. Ensuite, il nous a conduit à la clinique d’ Ambérieu où on a soigné ma jambe, qui s’était envenimée après les onze éclats que j’avais enlevé avec un couteau.
Et c’est là aussi que j’ai retrouvé Chochotte, qui avait été amputé de ses deux orteils à la suite de ses pieds gelés.
Après les soins reçus, nous avons rejoint notre camp en passant par la ferme de notre camarade Henri, où nous avons dormi.

Le 1er avril, Verduraz faisant une sortie quelque part est revenu avec deux voitures de ravitaillement.

Le lendemain, 2 avril 1944, notre Colonel est venu visiter le camp. En arrivant dans notre groupe, ils nous a encouragés et stimulés comme il le faisait lors de toutes ses visites. Entre parenthèses, je dois dire que je lui obéissais avec reconnaissance car je savais que si la France était vaincue, c’en était fait de ma vie.
Après ses paroles d’encouragement, il a pris une liste de promotions qu’il nous a lue, et c’est avec étonnement et joie que j’ai entendu citer mon nom de guerre “Marcel Lemoine”, promu au grade de Caporal-Chef. Vraiment, je ne m’attendais pas à pareil honneur. J’étais très fier, très heureux.
A la suite de cette visite, nous avons fait une petite fête.

Le 6 avril, nous réussissions un coup de mains vestimentaire, qui nous permit d’être habillés de neuf.

C’est à cette époque que Chochotte est revenu de l’hôpital d’ Ambérieu et a été pris en charge par “Durand” pour passer sa convalescence chez lui.

N’ayant plus de souvenirs très précis de cette période, je ne puis donner de dates exactes durant les mois qui suivent car je crains de les intervertir.

Je me souviens qu’un jour nous avons été surpris par un groupe de la Gestapo en civil et nous avons dû aller camper ailleurs.

Le 7 juin, Nicole a emmené un groupe de 14 maquisards bien armés, à une heure du matin, à Ambérieu avec la Poste et le Commissariat de Police comme objectifs. Quelques uns de notre groupe devaient faire retentir la sirène d’alarme placée à la poste et couper le téléphone. Le reste du groupe dont je faisais partie devait au même instant attaquer le Commissariat. Tout était chronométré. C’est Zwenger (Alsace), qui a intimé l’ordre en allemand aux gendarmes d’ouvrir la porte. Aussitôt ouverte, nos avons bondi à l’intérieur pour désarmer tous les occupants surpris sur leurs lits de camp. tous ont été évacués et Zwenger sur l’ordre de Nicole a lancé un explosif pour faire sauter le Commissariat.
Simultanément, la sirène s’est mise à hurler pour simuler une attaque aérienne et ainsi faire sortir les Allemands de leur cantonnement et les faire fuir dans les bois environnants afin que les autres groupes (que je n’ai pas vus) avec la complicité des cheminots puissent aller sans crainte placer les bombes sur les 52 locomotives garées au dépôt.
Le hurlement de la sirène et l’explosion du Commissariat a fait fuir aussi les habitants affolés, hors de la ville, croyant à une nouvelle attaque aérienne, qu’ils avaient déjà eux peu de temps auparavant. Nous avons dû rassurer les gens autour de nous.

Notre travail terminé, nous nous sommes retirés en direction de la montagne surplombant la ville, en emmenant tous les gendarmes, qui ont été libérés en cours de route, sauf deux Marseillais, qui ont demandé à rester avec nous.
De notre monticule, nous avons entendu et vu les premières explosions de locomotives.
Mission terminée. Chaque groupe de résistants est reparti dans son camp.

Le 10 juin, nous avons tous reçu un brassard tricolore avec la croix de Lorraine, ainsi nous devenions des soldats à part entière des Forces françaises de l’intérieur.

Le lendemain, nous sommes allés occuper Nivollet, Saint Jean le Vieux, l’Abergement et faire des barrages en abattant les arbres en travers des routes pour obéir aux ordres supérieurs et ainsi entraver les mouvements des troupes allemandes. Dans cette action, Swenger a été griévement blessé à la jambe. Secouru, il fut évacué par notre groupe polonais, porté sur le dos de Jean.

Après cela, notre camp s’est établi à Nivollet et quelques jours à Corlier. Ces deux villages ont été bombardés par la suite.

Début juillet, après une alarme, notre camp est parti pour Saint-Rambert afin d’attaquer un train blindé. Une équipe a fait sauter le rail devant le train et une autre équipe à l’arrière du train. Il y a eu une cinquantaine environ de prisonniers.
Après cette action réussie, nous sommes partis assez nombreux en autocars et camions faire un défilé à Hauteville en emmenant les prisonniers allemands qui ont dû défiler avec nous. Le Colonel Romans-Petit et d’autres officiers français et anglais dirigeaient cette manifestation. “La Marseillaise” a été chantée et une gerbe déposée par le Colonel aux Monuments aux Morts. Nous sommes rentrés au camp le soir vers 10 heures.

Le 11 juillet nous sommes partis le matin, tous armés d’un fusil américain avec munitions et grenades (sauf dix hommes qui étaient chargés de fusils mitrailleurs et bazookas) en direction de Neuville sur Ain, rejoindre d’autres camps qui se battaient déjà contre les Allemands en grand nombre. Nous avions tous pour mission de les empêcher de passer et de les retenir le plus longtemps possible.
Cela a été une bataille terrible ; les Allemands étaient partout et nous aussi (quelquefois à moins de 50 mètres les uns des autres). J’étais avec Tosi et mes quatre compagnons polonais, les deux gendarmes marseillais, Lisolas, l’adjudant “Tarzan” (qui a été blessé au cou), notre camarade le boucher du camp (qui a été blessé gravement à la tête et retrouvé vivant par la Croix-Rouge, trois jours après la bataille). J’ai eu le plaisir de retrouver ce dernier fin 1945 à la réunion lyonnaise Verduraz-Gerson.
Ce jour-là, je me souviens avoir aperçu Durand (Gros Durand) de Douvres avec son groupe. Quant à Nicole, il s’était séparé de nous dès le début pour aller à la tête d’une autre partie de notre camp.
Les deux camps Verduraz et Nicole se sont retrouvés à la nuit dans le hameau de Chaux au-dessus de Jujurieux pour rejoindre notre Commandement qui s’était réuni là. Nous avons reçu un sandwich et l’ordre d’aller nous coucher. Le poste de garde était assuré par le camp “Verduraz”.
Le lendemain 12 juillet, à 4 heures du matin, nous sommes partis rejoindre nos camps respectifs.

Le 13, c’était mon anniversaire. J’avais 23 ans.

Les 14-15-16 juillet, notre groupe franco-polonais est parti en position sur la route d’Argis mais aucune trace d’Allemands, ainsi que les jours suivants.

Le 21 juillet, toujours au camp de Nivollet, nous avons appris l’attentat contre Hitler.

Les jours se passent en patrouilles, en gardes et alertes.

A cette époque, j’avais fait des progrès en français ; je comprenais et m’exprimais mieux. Cela me facilitait les contacts avec mes camarades français.

Quelques jours après la bataille de Neuville, j’apprenais par Nicole que j’avais été nommé Sergent. J’étais fier d’être dans l’armée française, mais cet événement est passé complètement inaperçu, tellement nous étions à ce moment là, pris par les combats de toutes sortes. Nous devions constamment être prêts pour les attaques allemandes et les sabotages sur les voies ferrées.

Le 2 août, nous sommes partis du camp Nicole avec deux camions pour aller réceptionner des parachutages qui sont arrivés à 3 heures de l’après-midi par 36 forteresses accompagnées de très nombreux chasseurs.
Nous étions là, avec d’autres camps pour la garde et la défense autour du terrain de parachutage dont j’ai toujours ignoré le nom.
Tout s’est bien passé et nous avons pu admirer le ballet des chasseurs qui tournaient sans arrêt autour des forteresses. Ces dernières passaient trois par trois pour larguer des parachutes de toutes les couleurs. C’était impressionnant et cette démonstration de force nous donnait une joie immense. Nous sommes rentrés à Nivollet le lendemain.

C’est en rentrant d’un embuscade sur la route de Cerdon le 7 août que nous avons appris que Corlier avait été bombardé.

Le lendemain 8 août, nous avons été réveillés en sursaut par des bombardements sur notre village et camp de Nivollet. Cela a duré 50 minutes. Les avions étaient très bas et tiraient avec des mitrailleuses en larguant des bombes. Il y a eu 9 civils tués ainsi que notre camarade Sartory et sa femme qui était venue le voir la veille.
Après ce coup dur pour les habitants de Nivollet, nous sommes partis nous réfugier dans les bois.

Les jours suivants se sont passés en patrouilles et positions sur un piton rocheux surmonté d’une croix, et qui dominait Torcieu, la route, et la voie ferrée.

Le 15 août, nous partons à minuit avec d’autres camps en camions, en direction de Lyon (peut-être vers La Valbonne…) pour aller chercher du ravitaillement dans un train immobilisé sur la voie ferrée, malgré la présence des Allemands à proximité. Cela s’est passé sans accrochage et le matin, nous étions de retour au camp.

Les jours suivants, positions et accrochages vers Bourg…

Le 24 août, nous partons dans la nuit pour le village de Château-Gaillard où les Allemands qui gardaient le champ d’aviation, nous ont barré la route sans succès. Nous sommes entrés dans le village et eux sont partis dans les bois.
Ce jour-là, deux avions allemands sont venus bombarder leur magasin de munitions près du champ d’aviation, afin de ne rien laisser derrière eux. C’est aussi à Château-Gaillard que nous avons appris la libération de Lyon.

Quelques jour après, nous sommes partis le soir pour une embuscade et suite à un accrochage avec des Allemands, nous avons fait une dizaine de prisonniers qui ont été renvoyés au grand P.C.

C’est le 29 août que les Américains-Canadiens sont arrivés en blindés à Ambérieu et leurs avions ont atterri sur le champ d’aviation qui avait été préparé pour eux.
Il y a eu de nombreux accrochages avec les Allemands qui voulaient passer et s’enfuir.

Un après-midi, notre groupe polonais se trouvait en patrouille sur la route où passaient les convois américains. Nous parlions polonais et un camion s’est arrêté : les occupants canadiens nous ont interpellés en polonais pour nous demander des renseignements. C’était des descendants d’immigrés tout contents de fraterniser avec nous. Je suis parti avec eux pour leur donner les indications qui leur étaient nécessaires.
En route, nous avons rencontré Nicole, qui a été très surpris en apprenant qu’il y avait des descendants de Polonais dans les volontaires canadiens en France. Je suis rentré au camp à deux heures du matin.

A partir de ce jour-là, nous combattions conjointement avec les Américains et tout notre groupe polonais désirait s’engager dans l’armée américaine pour combattre et partir avec eux. Pour cela nous sommes allés à Ambronay demander l’autorisation au Lieutenant Auger qui nous a expliqué que c’était impossible puisque nous étions dans l’Armée française. Nous avons revu souvent nos amis canadiens-polonais, qui nous recevaient à bras ouverts.

Le 17 septembre, notre camps de Château-Gaillard a été alerté pour aller avec les Américains combattre un groupe important d’Allemands sur une route entre Nivollet et Jujurieux. Cela a duré jusqu’au 18, où nous avons pu couper le groupe en deux.

Dans la nuit du 18 au 19, vers deux heures, un groupe de canadiens-polonais m’a demandé de partir en patrouille avec eux pour leur indiquer la route. Ils étaient onze. Nous sommes partis en jeep sur la route de Jujurieux-Pont d’Ain à la recherche d’éléments isolés allemands qui pouvaient encore nuire. Tout était calme en apparence pendant quatre kilomètres. Nous nous sommes arrêtés à un carrefour pour nous orienter et à ce moment-là, les coups de feu ont éclaté de toutes parts. Nous avons immédiatement riposté avec nos armes automatiques et j’ai été le premier, et le seul, blessé par une balle explosive au genou droit. Les Canadiens ont continué à combattre avec succès car la fusillade s’est arrêtée, et ils ont pu me mettre sur un brancard attaché sur le moteur, faire demi-tour et repartir plein phare et à toute allure en direction de l’hôpital de campagne américain où on a simplement désinfecté ma plaie.

Mon chef Nicole est venu me voir ainsi que mes camarades polonais qui m’ont apporté mes affaires personnelles et ont repris mon armement.
Dans cet hôpital, mes amis canadiens-polonais sont venus donner des explications à mon sujet à la Direction, pour établir mon dossier et on m’a évacué en jeep sanitaire vers un autre hôpital américain, toujours sous la tente, pour m’opérer. Cela devait être vers Ambérieu.

C’est donc le 22 septembre au matin que je me suis réveillé absolument raide car on m’avait plâtré du thorax jusqu’aux pieds et j’étais sous perfusion.

Le lendemain, on m’a transporté en ambulance dans l’hôpital français de Besançon pour la suite des soins. J’ai beaucoup souffert de ma blessure jusqu’au 29. Je me souviens qu’une infirmière lorraine qui parlait allemand m’a apporté des fleurs. C’est elle qui m’a appris que les alliés avançaient vers l’Allemagne.

Le 30, je suis transporté à Dijon dans un autre hôpital français où il y avait beaucoup de blessés américains. J’étais toujours dans mon carcan de plâtre mais je souffrais moins.
Je suis resté deux jours et le 2 octobre, nouveau transport en ambulance pour l’hôpital Édouard Herriot à Lyon. L’accueil m’a fait bonne impression. J’étais avec des Français, des Africains, des Tunisiens, Algériens, Marocains… tous sympathiques. Malgré tout, loin de mes amis du maquis, je me suis senti très seul et un peu perdu au début. J’ai quitté l’hôpital le 26 janvier 1945.
Après un appel aux Lyonnais par radio, nous avions eu beaucoup de visiteuses ; l’une d’elles est devenue ma marraine de guerre et je l’ai épousée en 1946 après avoir passé six mois de convalescence dans une famille franco-polonaise de Bourg et huit mois dans un hôpital auxiliaire de Caluire qui se trouvait dans un monastère. J’ai été démobilisé et réformé le 15 juin 1946.

Entre-temps, je suis allé à Paris – 33, rue Faisanderie – à la Maison du Maquis de l’Ain où je suis resté du 3 au 8 juillet. J’ai rencontré tous les jours le Colonel Romans-Petit, qui m’a remis un certificat d’appartenance aux Forces Françaises de l’Intérieur ainsi qu’une attestation de ma nomination de Caporale-Chef en mars 1944.

J’ai eu aussi la joie de rencontrer Jacques Thérand qui avait été gravement blessé au genou et fait prisonnier dans la bataille du 30 décembre 1943. Il m’a raconté comment il s’était évadé de l’hôpital en prenant la blouse blanche du médecin, aidé par un complice qui lui avait fourni une arme.

A Lyon, j’ai aussi retrouvé Nicole, ainsi que mes camarades polonais à Bourg, puis Georgette qui avait permis mon évasion sans oublier le cultivateur qui m’avait caché dans sa grange de foin.

Plus tard, j’ai revu Verduraz et Gerson dans une réunion de Maquis. Dans cette réunion, Verduraz m’a présenté à une personnalité, ancien du Maquis de l’Ain qui a fait tout le nécessaire pour obtenir ma nationalité française dans un très court délai.

Je termine mon récit en disant que la Pologne reste mon pays natal, mais je suis devenu français à part entière et mon pays de cœur… c’est la France.

Alexis CIERNIEWSKI

Dans ce récit, je ne parle que de ce que j’ai vu faire autour de moi et de ce que j’ai fait moi-même (avec mon groupe polonais, qui ne se séparait jamais) dans le camp Nicole où je suis resté plusieurs mois sans comprendre les conversations que j’entendais.

En plus, j’ignorais totalement dans quelle région de France je me trouvais, n’ayant jamais eu la possibilité d’avoir une carte géographique pour me repérer et n’ayant connu de la France auparavant que le nom de la Capitale.

De ce fait, le Bugey, Bourg, Lyon… étaient pour moi des noms absolument inconnus.

© Alexis Cierniewski