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Il y a soixante ans… le 14 décembre 1943 Nantua

ll y a soixante ans… le 14 décembre 1943

Introduction
Cette année, la classe de 3ème C a participé à un projet d’écriture historique sur le thème de la rafle du 14 décembre 1943, qui eut lieu à Nantua.
Le collège Xavier Bichat avait été le théâtre de cet événement tragique. Il se devait donc d’en faire revivre la mémoire, soixante ans plus tard, dans des murs rénovés, embellis et respectueux de l’histoire, ici vécue.
Dès la rentrée de septembre, vingt-trois élèves de Troisième ont été investis d’une mission: devenir des passeurs de mémoire.
Plusieurs objectifs pédagogiques étaient visés:
faire des recherches historiques sur l’événement à évoquer, lire des œuvres littéraires favorisant l’écriture en prose poétique, écrire un texte et le lire collectivement à l’assemblée présente, le jour de la commémoration.
Ce travail a été conduit, en cours d’histoire et de français, en coopération avec le CDI du collège et le Musée de la Résistance et de la Déportation de Nantua. Il a permis aux élèves de lire des études historiques, des lettres, des articles de journaux, des témoignages d’anciens élèves et même de rencontrer l’un de ceux-ci, M. Jean Rogier, qui les a éclairés sur quelques points.
Et puis, ce fut, surtout pour eux, l’occasion de rencontrer deux professionnels exceptionnels: Rolande Causse, écrivaine, et Marcel Guignard, comédien et metteur en scène du Théâtre du Pilier, à Belfort.
Madame Causse est venue travailler une journée avec la classe. Elle a d’abord présenté son métier et sa démarche d’écrivain face à l’Histoire, puis répondu aux questions des élèves sur Les Enfants d’Izieu et Oradour la douleur, et, lancé l’atelier d’écriture sur la rafle de Nantua.
Monsieur Guignard, lui, a permis aux élèves d’améliorer leur diction et de trouver la bonne répartition des voix pour la lecture de leur texte.
Nous l’avions choisi comme intervenant car il avait été le metteur en scène des Enfants d’Izieu de Rolande Causse, en 1993 et 2003.
Tous deux étaient attachés à la réussite de notre projet dont les dimensions, historique et humaine, les avaient touchés. Ils se sont alors investis admirablement et nous ont été d’une aide précieuse.
Puis, le travail d’écriture a abouti au texte que vous allez lire. Il évoque les événements qui ont précédé la rafle puis retrace les différentes étapes de cette tragique page d’histoire, depuis le bouclage de la ville par les soldats allemands jusqu’à la déportation
des condamnés et au retour de quelques survivants. Et, il n’oublie pas de faire le portrait de quelques victimes de cette tragédie.
Enfin, ce fut le 14 décembre 2003, un moment inoubliable. A la fin d’une matinée froide et pluvieuse, 17 voix se sont succédé: elles ont redonné vie « aux malheureux de Nantua», qui, soixante ans plus tôt, devaient connaître un sort funeste; elles ont touché les cœurs, venus rendre hommage à ces victimes de l’Histoire, et ont su faire briller des yeux, émerveillés par une jeunesse, visiblement, respectueuse du passé et porteuse d’espoir pour l’avenir.
Merci aux élèves pour leur travail.
Véronique Vialle et Christelle Lapalus
 
Nantua, petite ville de trois mille habitants en 1943, devrait son nom à la racine celtique « nant » qui signifie « vallée». Nichée entre ses montagnes, la capitale du Haut Bugey devait connaître des événements tragiques, à l’époque de la seconde guerre mondiale. Sa situation géographique et son implication dans la Résistance n’y furent pas étrangères.
Ce qui frappe, en effet, le promeneur comme l’habitant de Nantua, c’est le caractère encaissé, enclavé de cette petite ville du massif jurassien. Notre cité, qui vit au cœur d’une cluse, ne possède que trois voies d’accès: la route de Port, celle des Neyrolles et celle de La Cluse, reliant d’un côté, Nantua à Genève et de l’autre Nantua à Lyon, Bourg ou Oyonnax. Le 14 décembre 1943, les assaillants allemands sauront cerner, boucler, cette petite bourgade, déjà enserrée entre ses montagnes.
Cité, avant tout administrative, grâce à sa sous-préfecture, son tribunal, sa gendarmerie, son hôpital-maternité et son collège, Nantua, bénéficiait aussi de l’activité de quelques entreprises, toujours présentes pendant la période trouble de la guerre: une fabrique de meubles, une usine de chaudronnerie, un atelier de lunetterie, un atelier d’appareillage électrique pour moto et vélo.
Le quotidien des Nantuatiens était rude, à cause des restrictions toujours plus nombreuses, surtout à partir de novembre 1942, quand la zone sud fut envahie. Pour se nourrir ou se vêtir, il fallait donc employer des tickets de rationnement, qui donnaient droit à de maigres pitances. En hiver, la vie était particulièrement difficile, à cause du manque de charbon et de médicaments. Dans la rue, on entendait le bruit des galoches en bois que portaient les habitants. Chaussettes, gants, pulls, tout était tricoté à la main par une mère ou une sœur bienveillantes. Après vingt heures, tout le monde était dans son foyer: obligation formelle de respecter le couvre-feu.
En 1940, comme la plupart des Français, la majeure partie des Nantuatiens faisait confiance au maréchal Pétain. Mais l’appel du Général de Gaulle, réveilla certains d’entre eux, qui se tournèrent vers Radio-Londres, pour échapper à la propagande vichyste et se préparer à résister.
Ces premiers résistants, ralliés à la cause que défendait leur chef de file, le Docteur Mercier, étaient peu nombreux et subirent presque tous, par la suite, un destin tragique: exécution ou déportation. Mais ils avaient tracé la voie: celle de la liberté et de l’honneur, et d’autres la suivirent quand, en 1942, le gouvernement de Vichy institua le STO. A Nantua, un maquis fut alors créé, suite à l’afflux des réfractaires, sur la montagne au lieu dit «Le Mont».
La ville comportait dans ses rangs des partisans du gouvernement de Vichy, inscrits pour certains au PPF ou même engagés dans la milice, et des partisans de de Gaulle, entrés ou pas en clandestinité, mais oeuvrant contre l’occupation, l’oppression, la collaboration.
Pour ceux-ci les journaux clandestins ont été de précieux alliés car ils portaient la voix de la résistance (Bir-Hakeim, La Voix du maquis
furent des plus célèbres dans la région). Une grande majorité de la population, comme les Français d’alors, était plutôt attentiste et indécise.
Mais quelles que soient leurs opinions, les Nantuatiens cohabitaient plutôt bien, comme c’était le cas au collège par exemple. Dans ce temple du savoir, vieux de trois cents ans, élèves et professeurs des deux bords vivaient harmonieusement. On connaissait les convictions des uns et des autres mais cela n’empêchait pas de se respecter. Ainsi, malgré une vie quotidienne difficile, surtout pour les internes, bien mal nourris et chauffés, et un climat de temps de guerre, à la fin 1943, on ne se sentait pas en danger à Nantua. Au collège, on s’appliquait à apprendre les leçons dispensées par les professeurs de latin, de lettres, de mathématiques, de sciences ou d’histoire, sans évoquer la guerre.
Alors quand l’aube du 14 décembre se leva, on était loin d’imaginer le drame qui allait se jouer. Pourtant, les semaines ou jours précédents avaient été le théâtre d’événements surprenants.

 

Texte écrit pas les élèves de 3è C du Collège Xavier Bichat de NANTUA – Décembre 2003

Pour eux tous

Réunis dans ce train maudit

L’espoir était encore permis

Il ne s’agissait peut-être

Que d’un contrôle d’identité

A y penser quelle naïveté

Mais pour Marcel une nécessité

Choisir entre ses deux cartes

Garder ou jeter la vraie

Le choix s’imposait

Il garda la vraie

A Bourg on l’enregistra sur un grand cahier

Et comme les autres

Il prit le chemin des condamnés

Heureusement sa déportation

Ne fut pas achevée

Car du train il a pu sauter

Et échapper à un enfer

Mais dans sa mémoire est gravé

Le regard des malheureux

Qui ont eu peur de s’évader

Et ont perdu leur liberté

Dans la nuit du 16 décembre 1943

Les voici aux portes de l’enfer

A Compiègne

En région parisienne

Dans le camp de Royallieu

Ils vivront trois semaines

En pensant à leur montagne

Dans l’antichambre du bagne

Le samedi 22 janvier 1944

Début d’un voyage épouvantable

Tous debout

Tous serrés

Tous mortifiés

Tous condamnés

Au mépris

A la folie

A une mort programmée

Par ceux qui ont perdu le sens de l’humanité

A Buchenwald

Hradischko

Ou Dora

Dans ces camps aux noms froids

Camps de concentration

Où Les Nazis

Les kapos

Les barbares

Anéantissaient

Meurtrissaient

Déshumanisaient

Les malheureux de Nantua

Ont connu l’inimaginable

L’impensable

L’innommable

Arrivée en enfer

Perte de repères

Tatouage au bras

Perte d’identité

Tenue de bagnard

Perte d’humanité

Vies à jamais gâchées

Pour ces hommes condamnés

Aux travaux forcés

Dans cet univers clos

Soumis à la violence des kapos

Aux ordres de SS brutaux

Ou aux essais médicaux

Nos hommes vaillants

Courageux

Et résistants

Ont dépéri

Atteints de maladies

Amaigris par la faim

Tenaillés par le froid

Rongés par la saleté

Dévorés par le sommeil et la fatigue

Peu a peu leurs corps se sont effacés

Ombres parmi les ombres

Ils ont marché

Sur les pas de tous les prisonniers

Victimes désignées

Par le hasard d’être nées

Juives

Tziganes

Homosexuelles

Ou par leur choix délibéré

de lutter pour la liberté

en résistant

en s’opposant

aux agresseurs

aux oppresseurs

aux fossoyeurs

d’une humanité oubliée

Dans ces camps de concentration

Dans ces camps d’extermination

Beaucoup sont morts

Tous ont souffert

Dans cet enfer

De feu

De sang

De brutalité

Henri

17 ans

Était élève à Nantua

Il était souriant et agréable

Mais ce jour de décembre 1943

Son destin bascula

Quand il fut désigné par des soldats

Il fut ensuite emmené à la gare

Avec ses amis et professeurs

Devenus ses compagnons

Dès qu’on les projeta dans le wagon

Où trop serrés

Ils avaient du mal à respirer

A Compiègne

Les soldats ouvrirent enfin la porte

Et tout le monde sortit

Un par un

Formant une colonne funèbre

En partance pour un premier camp

Pas encore de concentration

Ici Henri put quand même recevoir

Lettres et colis

De la part de ses parents meurtris

D’avoir vu partir leur cher petit

Pour lui ces mots reçus

Furent un dernier bonheur

Avant le temps de l’absolue terreur

Gabriel Gay

Mais devant le danger il ne recula

Et ignora les conseils de ses curés

Qui lui indiquaient de rester à l’abri

En attendant le départ des nazis

C’est ainsi qu’en début d’après-midi

Il partit dans le froid

Sandales aux pieds

A l’autre bout de Nantua

Instruire des enfants

Qui ne le virent jamais arriver

Car lui aussi se fit arrêter

Et dut rejoindre ses paroissiens

Prêts à monter dans le train

Embarqué avec eux dans un wagon-prison

Très vite l’abbé comprit quel serait leur destin

Il voyait la souffrance

La misère

La mort

Au bout du chemin

Mais quand l’idée de l’évasion

Germa dans le cœur de certains

Il refusa la liberté

Car il sut quelle était sa mission

Rester auprès de ces hommes perdus

Meurtris

Déjà anéantis

Veiller sur leur santé

Les encourager

Les aimer

Étouffant sa propre souffrance

Jamais l’abbé ne renonça

Ne se découragea

Et jusqu’au bout il aida

Réconforta

Écouta

Ses compagnons de misère

Refusant la soumission

Dans les camps de concentration

Il continua à servir Dieu

A soutenir les miséreux

Mais son courage exemplaire

Sa dignité tranquille

Son besoin de spiritualité

Irritèrent les chefs de camp

Qui se promirent de le punir

Et le 11 avril 1945

A 9 heures

Il mourut

Victime d’une sauvage exécution

Après avoir lancé ces mots

«Que la volonté de Dieu soit faite»

La veille il avait dit

«Si ma pauvre vie peut faire cesser ces massacres je l’offre volontiers.»

Il ne s’était pas trompé

Une heure après son exécution

Un ordre du commandant

Interdisait de tirer sur les prisonniers

Car le camp allait bientôt être démantelé

L’abbé Gabriel Gay mourut à Hradischko

Un mois avant la fin de cette guerre

Mais les nazis n’ont pu tuer
« Ce bel exemple de courage et de piété»

«Que la volonté de Dieu soit faite»

La veille il avait dit

«Si ma pauvre vie peut faire cesser ces massacres je l’offre volontiers.»

Il ne s’était pas trompé

Une heure après son exécution

Un ordre du commandant

Interdisait de tirer sur les prisonniers

Car le camp allait bientôt être démantelé

L’abbé Gabriel Gay mourut à Hradischko

Un mois avant la fin de cette guerre

Mais les nazis n’ont pu tuer

«Ce bel exemple de courage et de piété»

Et quand le jour s’est à nouveau levé

Chassant la nuit

Le froid

La folie

Quelques survivants

Ont parlé

Et ont pu regarder

La lumière d’un jour nouveau

Après les évacuations

Les libérations

Ou pire les exécutions

La liberté leur était enfin donnée

Mais dans leur cœur

Mille douleurs:

Humiliation

Soumission

Impuissance

Souffrance

Quelle liberté attendait ces hommes

Squelettiques

Malades

Affaiblis

Presque anéantis

Arrivant à l’hôtel Lutetia ?

Un peu de réconfort

Un peu de chaleur humaine

De générosité

Quelques plaisirs oubliés

Manger

Se réchauffer

Sourire

Dormir

Être écouté

Avant le grand retour

Sur la terre de naissance

Pour une renaissance

Un retour à la vie

Là-bas

Attente des familles

Un train arrive

Tous espèrent des retrouvailles

Mais dans l’attente de qui, de quoi sont-ils là ?

Espèrent-ils retrouver

Un fils

Un père

Un frère

Un ami

Un voisin ?

Enfin ils surgissent

Tous affaiblis

Tous anéantis

Des corps brisés

Impuissants

Humiliés

Personne n’aurait imaginé

Retrouver

Des vivants morts

Des morts vivants

Tués dans leur corps

Tués dans leur cœur

Emprisonnés par la peur

Laissée par les souvenirs

Qui ne cesseront de les hanter

De les poursuivre

Alors quand ils se seront reconstruits

Quand des jours et des nuits seront passés

Une crainte terrible surgira

Et si tout recommençait

Et si les hommes perdaient à nouveau la raison

Et si leurs enfants devaient aussi subir cette folie

Pour écarter ce danger

Certains ont su

Quelle était la nécessité

Parler

Témoigner

Se mobiliser

Militer

Expliquer

S’engager

Hurler

Crier

Les bienfaits de la paix retrouvée

Qui jamais ne devra être sacrifiée

Oubliée

Bafouée

Et après eux leurs enfants

Ont compris

Ont écrit

Ont transmis

Un message de paix

Un message d’espoir

A notre monde encore meurtri

Et pas totalement guéri

De la barbarie et de l’oubli

Alors à nous de porter bien haut

Les plus beaux idéaux

Et de faire progresser la tolérance

La fraternité

Et l’amitié

Entre tous les peuples du monde entier

Auteurs :

Loïc BERTHET-BONDET

Lolita BRUNIER

Yvonne DANA

Ibrahim EDDAHCHOURI

Mounia EL MASBAHI

Léo FAVRE

Loïc GOMES DUARTE

Emmanuel GOUJON

Pierre GOURMAND

Amélie GUILLOT-VIGNOT

Filiz HABBULOGLU

Abdelali KEMMOUN

Onur KONAK

Adrien LOPES

Fabien MAIRE

Mathieu MAISONNETTE

Anne-Sophie RAMJEE-NOLO

Yvanna ROMANET

Gaëlle SAVRE

Jean-Billy THOMASSET

Ibrahim TUNCA

Umit USLU

Sylvain VUGIER