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Chougeat d’après Pierre-G Jacquot

Après le camp de réfractaires de Revers, un second naquit sur ce même plateau,au-dessus du village de Chougeat. Tintin, un métallo de Bourg, Maillard, un étudiant, et quelques autres camarades s’étaient réfugiés dans une grotte creusée dans le rocher (la Grotte à l’Ourse, n.d.l.r.) qui surplombe la rivière d’ Ain. Puis l’effectif augmentant, ils avaient abandonné la demeure de cyclope que l’humidité et le froid du sous-sol rendaient inconfortable.

Le Maquis, un vrai maquis, s’était alors développé sur le plateau broussailleux bien exposé au soleil du printemps. Au milieu de buis et genêts des huttes gauloises avaient poussé sous les chênes rabougris.

Au début de l’été, ce camp groupait déjà une cinquantaine d’hommes commandés par Commis, grand garçon sportif et sympathique, ancien moniteur de «Jeunesse et Montagne» qui avait jugé bon de fausser compagnie à Vichy.

Les planches fournies par la scierie du Moulin du Pont et transportées par les attelages du village permettent de confectionner des couchettes plus confortables que celles bâties avec des rondins; et surtout de construire des toits qui, une fois recouverts de paille serrée, s’avèrent plus imperméables à la pluie que les couverts de buis.

C’est du modernisme, et un modernisme considérable que ne sauraient imaginer les êtres qui ont toujours connu le lit tiède d’une maison bien calfeutrée. Fait-il beau? La vie et la joie rayonnent dans la nature libre. Mais avec la pluie, les pensées s’assombrissent. Les sentiers s’embourbent, les broussailles retiennent les gouttes d’eau et trempent au passage jusqu’aux os. Dans les cabanes, les quelques toiles de tente déchirées subtilisées à l’armée ou aux Chantiers de la Jeunesse sont rationnellement utilisées. Si par malheur le vent souffle de quelque côté que ce soit, la pluie traverse de toutes parts. L’humidité empêche le sommeil, les gars se relèvent, replacent les touffes de mousse et les brindilles de buis aussitôt arrachées, vident les souliers pleins d’eau, puis cachent sous leur tête leurs plus précieuses affaires.

L’armement dérisoire ne se compose que d’une dizaine de mitraillettes anglaises et d’autant d’énormes pistolets à barillet rappelant les exploits des cow-boys des pampas. Deux mitraillettes sont constamment affectées aux deux hommes montant la garde au poste dominant le village. Les autres servent à l’instruction et à l’exercice sur le terrain. Le lancer de grenades donne lieu à un sport particulièrement attrayant et un Vosgien, Ruquebeuch, s’est révélé tout de suite un excellent grenadier. Des concours organisés entre équipes décuplent l’émulation. Quel sera celui qui, les yeux bandés, démontera et remontera son arme dans le minimum de temps? Ainsi les jours passent, partagés entre l’organisation des emplacements de défense et le souci de la subsistance.

Le service de l’ Intendance clandestine n’existe pas encore. Le ravitaillement fourni par la Brasserie de Bourg et par Aulier qui en assure le transport, est depuis longtemps insuffisant. Pour nourrir ces jeunes appétits, la campagne apporte son concours. Chougeat qui dès le début a accueilli favorablement les réfractaires les aide dans la mesure de ses moyens. Les familles Rougemont et Gouilloux s’ enquièrent

des bœufs à acheter. Les bêtes sont abattues, dépecées et salées au camp par Lucien qui entrepose la viande au frigo, l’ancienne grotte. Pédale et Morel sont spécialisés dans la collecte des légumes et du blé qu’ils achètent dans les villages avoisinants: Matafelon, Samognat, Condamine. Avec l’été les légumes apportent une nette amélioration dans la nourriture car pendant des mois les repas ont consisté uniquement en viande bouillie et en bouillon noirâtre d’une graine de légumineuse fourragère appelée « pesette».

Boby prépare une soupe plus appétissante d’orge ou de blé dans une cuisine en plein vent quis’enorgueillit d’un toit de tôles ondulées et d’une chaudière de ferme. Au village, un maquisard boulanger de métier cuit le pain chez la grand’mère Sigod dont le petit- fils Roger est radio.

La monotonie des jours est coupée par les fréquentes visites du lieutenant Montréal dont l’entrain et le dynamisme sont communicatifs. Avec lui entre un peu d’air du dehors: il sait si bien conter les histoires et rapporter les nouvelles clandestines!

L’arrivée de James marqua un grand événement. De la colonie de vacances, le P.C. départemental s’était installé au café Humbert, à Brénod. La prudence voulant que les déménagements soient nombreux, le groupe d’État-Major ayant perdu Chavan mais gagné Tintin promu cuisinier, avait reçu asile à Intriat chez de paisibles rentiers, les Guinard. C’est dans cette villa d’apparence si tranquille que Démia, d’Ambérieu, membre du reseau d’évasion “Pat O’Leary” (ndlr) envoya un Anglais: James Patterson ( !?? n.d.l.r.), unique rescapé d’un avion britannique abattu par la D.C.A.

Durant son séjour au camp de Chougeat, James fut pour les Français une source de documentation inépuisable. Mais le jour de son départ pour le Portugal, il quittait des camarades qui, en retour, lui avaient dévoilé un nouveau visage de la France.